vendredi 21 décembre 2007

Vayekhi - Ah l'universel...

Vous connaissez bien sûr la blague du juif sur une île déserte ?

Ca fait 20 ans qu'il est tout seul, et soudain, un bateau vient le sauver. Alors avant de partir il fait visiter les lieux au capitaine:


"Donc là c'est ma maison à 3 étages, ici c'est le gymnase où je m'entraîne, ici c'est la synagogue, là-bas c'est le centre de recherche météorologique, de l'autre côté vous pouvez admirer le musée des arts primitifs, plus loin il y a la synagogue, ensuite..."

"Mais, s'écrie le capitaine, je croyais que la synagogue était là-bas ?!"

"Non, non celle-là c'est celle où je vais tous les jours, l'autre, ne comptez pas sur moi pour y mettre les pieds !"


Histoire de rire des dissensions et déchirements perpétuels qu'ont toujours connus les communautés juives...Mais la paracha est plus profonde que cela.

Elle nous relate une sorte de fin des temps, fin de la première partie de la Thora, après un affrontement violent entre Juda et Joseph.

Cette opposition, c'est celle qui traversera le peuple juif pendant plus de 3000 ans et, comme nous le verrons, jusque dans l'essence intime de la judéïté.


Reprenons: Joseph, on l'a vu dans une paracha précédente, c'est le politique, l'universaliste. C'est le juif qui n'est plus en Israël, il est en Egypte, il est coupé de sa famille et adopte les coutumes égyptiennes.

Sa vision du judaïsme, c'est que le juif doit aller à la rencontre des nations et des autres peuples pour faire avancer le monde.

C'est ce que symbolisent les 70 personnes qui descendirent avec Jacob en Egypte. 70 représente dans la tradition juive les Nations du monde.

Joseph, c'est celui qui fait en sorte qu'Israël se fonde dans les nations pour faire progresser l'humanité toute entière.


Juda, en revanche, c'est tout le contraire. Juda est très attaché à son père, à Israël, il n'arrête pas de le répéter toute la journée (c'est d'ailleurs lassant à la fin ces juifs qui n'arrêtent pas de revendiquer leur identité ;-)).

Il perçoit très clairement le risque de la position de Joseph: à trop vouloir se fondre, on risque de disparaître ! La spécificité d'Israël n'existera plus en Egypte !

Marx, Einstein, Freud, Spinoza, que de grands noms et que de grandes avancées dans la vie de l'humanité ! Mais où sont leurs descendants ? Sont-ils encore juifs ? Voilà ce que demande Juda.


Mais l'histoire ne s'arrête pas là !

Le peuple d'Israël, une fois rentré en terre promise, demande un roi. Dieu (c'est dans le texte de Samuel, vous regarderez) est pas très chaud. Pas chaud du tout même. Il fait une petite crise de jalousie en faisant bien remarquer qu'il était déjà roi et qu’il n’était pas nécessaire d'en avoir un autre.

Mais finalement, il leur fait plaisir et leur donne Saül. Puis David. Puis Salomon. Puis le schisme !Le royaume de Salomon se divise entre le royaume de Juda (les tribus de Juda et Benjamin) et le royaume d'Israël (dirigé par un descendant de Joseph).


Encore Juda contre Joseph.


Et là, pour les sceptiques, c'est plus la Bible, ce sont des évènements historiques. Le royaume d'Israël, plus riche, plus civilisé, beaucoup moins fidèle à la Thora et plus ouvert au monde sera détruit par Sénachérib: les 10 tribus qui le constituaient sont aujourd'hui perdues à jamais.

Le royaume de Juda fut finalement détruit 136 ans plus tard, mais les tribus qui le composèrent subsiste encore aujourd'hui: tous les juifs de par le monde (donc nous), à part les Cohen et Levi, sont issus des tribus de Juda ou de Benjamin.

Mais Juda sans Joseph ne peut suffire: on ne peut seulement se satisfaire de rester dans les hautes sphères spirituelles sans accomplir une vie politique et réelle.

"Ils sont bien gentils vos rabbins dans les shtetl à se prendre la tête. Mais qu'est-ce qu'ils font pour faire renaître une vraie vie politique, économique, sociale juive, pour s'ouvrir au monde ?"


Voilà ce que demande Joseph à Juda....par un curieux raccourci, les questions que se posent Juda et Joseph sont celles qui se posent encore aujourd'hui:"Faites attention aux attraits de l'émancipation, à la culture occidentale, vous risquez d'y perdre votre âme" n'ont cessé de répéter les maîtres du judaïsme depuis 2000 ans

"Y en a marre d'entendre les vieux rabbins des shtetls dire l'an prochain à Jérusalem tous les ans sans prendre aucune décision politique pour que l'Etat juif renaisse de ses cendres et que le peuple juif soit un peuple comme les autres" n'ont cessé de répéter les premiers sionistes laïcs.


Pour le Rav Kook, l'épopée du sionisme est bien encore une preuve de l'affrontement entre Juda et Joseph. Et c'est d'ailleurs pour cela que, de manière fort énigmatique, il a semblé identifié Théodore Herzl lors du discours d'enterrement de celui-ci au Messie fils de Joseph: le Messie qui devait donner la libération politique !

Mais le Messie de Joseph, celui qui vise à insérer Israël dans le concert des nations, est nécessaire, mais ne suffit pas: le véritable Messie est le fils de David, donc de Juda. Celui qui garantira la véritable spécificité juive dans l'esprit national.

Dans le champ du débat intellectuel, si vous regardez bien, il n'est pas rare de voir s'opposer deux styles: Joseph et Juda.

Pour simplifier, les "Joseph" ce sont ceux pour qui la culture occidentale est sacrée, pour qui l'universalisme prime avant tout, pour qui le soutien à Israël ne peut évidemment pas être inconditionnel, pour qui le savoir académique s'est substitué à la Thora.


Les Juda, ce sont ceux pour qui la "chose" juive passe avant tout. Pour qui le respect de la Thora passe avant toute considération politique ou économique, pour lesquels le soutien à Israël ne peut être qu'inconditionnel, et pour lesquels l'assimilation est le pire danger.


Je caricature volontairement, mais vous le voyez, le débat n'est pas nouveau. Chacun doit aller vers l'autre car les deux positions sont issues de courants très forts de notre tradition....mais attention dit le Rav Kook, la position n'est pas symétrique: la fin des temps n'arrivera que lorsque le Messie fils de Joseph, après avoir accompli sa mission, laissera la place au fils de David qui, en tant que porteur de la tradition juive, pourra enfin faire entrer le monde dans les temps messianiques...

vendredi 7 décembre 2007

Mikets - Dieu ou Père Hanouka

"Bon, écoute Dieu, voilà le deal: mise des téfilines pendant au moins 1 mois et tu me mets plus de 15 de moyenne à mes partiels, OK ?"

Outre qu'à mon sens, la personne qui dit ça va se prendre un grosse raclée à ses partiels, cette phrase dénote d'une conception de Dieu qui est exactement celle de Pharaon dans notre Paracha.

En effet, Pharaon rêve au début de la Paracha. La Thora nous raconte ce rêve et encore une fois, il faut faire très attention aux mots, en hébreu.
"Vehinei Omed Al Ayeor".
"Et voici qu'il (Pharaon) se tient SUR le fleuve".

Cette formulation est étonnante d'autant que lorsque Pharaon raconte son rêve par la suite, il dit qu'il se tenait "Al Sefat Ayeor", sur les bords du fleuve.

Quelle est la signification de ce "SUR le fleuve" ?
Appelons à la rescousse, le frère de Nehama Leibowitz avec qui nous avons étudié la semaine dernière: Yeshayaou Leibowitz.
Figure incontournable de la vie de l'Etat d'Israël jusqu'à sa mort en 1994: Professeur de Neurobiologie, de Médecine et de Philosophie à l'Université de Jérusalem, il était appelé "le prophète de la colère". C'est lui qui, le 7ème jour, après la guerre des 6 jours, lança un appel pour qu'Israël rende immédiatement les territoires alors que toute la population était dans un état d'euphorie totale. Il prévoyait que ces terres n'apporteraient que des problèmes...ce en quoi il n'avait pas forcément tort...
C'est aussi lui qui n'hésitait pas à provoquer ses concitoyens, en appelant le Kotel (le mur des Lamentations), le "DisKotel", pour fustiger les comportements indignes qui s'y produisent (vente de fils rouge "magiques", petits papiers à n'en plus finir dans les fentes, etc, etc..)

Mais il était également profondément orthodoxe et attachait une importance capitale à la Halacha pour le peuple juif. Ce qui faisait de lui un personnage très atypique dans le paysage intellectuel et politique Israélien.
Dans ses commentaires sur la Paracha (Brèves Leçons bibliques aux éditions Desclée de Brouwer), il donne une réponse à notre problème: il y a 2 façons de considérer Dieu.
La première est de considérer que celui-ci intervient de manière permanente dans la vie de l'homme et que celui-ci doit s'appuyer sur lui pour obtenir la santé, la richesse, le bien-être, etc...

Dieu "rassure" et aurait des devoirs envers l'homme: le rendre heureux sur cette terre. C'est exactement ce que dit le texte ! Le fleuve en Egypte, c'est le Nil. Le Nil en Egypte, c'est un Dieu: c'est le fleuve grâce auquel l'Egypte n'est pas un pays désertique, c'est le fleuve autour duquel vivaient, et vivent toujours 90% des égyptiens. C'est le Dieu qui donne la fertilité et la richesse. Lorsque le texte dit qu'il était SUR le Nil, cela veut dire qu'il attendait que Dieu lui donne les richesses: il était supporté par le Nil.
Remarquez que c'est la définition classique que donnent d'une religion tous les sociologues et psychanalystes lucides sur la nature humaine: pour supporter la dure condition humaine, il est nécessaire de se créer une illusion conceptuelle appelée Dieu qui va rassurer et réconforter l'homme en lui faisant miroiter un monde meilleur (monde futur, nirvana, paradis, appelez-le comme vous voudrez). C'est l'opium du peuple de Karl Marx, ou l'Illusion de Sigmund Freud.

Or, ce que dit Leibowitz, c'est que pour les juifs, c'est tout le contraire: l'homme a des devoirs envers Dieu, et non l'inverse.
L'homme doit prendre ses responsabilités sur terre, ne pas compter sur Dieu pour réussir ses partiels: Dieu n'est pas le père Hanouka !
Dieu ne rassure pas, il exige, il ordonne les Mitzvots et attend que l'homme respecte sa volonté. Et d'ailleurs, dans l'épisode de l'échelle avec Jacob, on lit bien: Dieu était "Alav", "SUR" Jacob. C'est Dieu qui reposait sur Jacob, pas l'inverse !!

Toute la vie du peuple juif c'est ça: ne pas attendre qu'un miracle vienne de Dieu, ne pas penser que ça ira mieux en priant, mais se dire qu'on est sur terre pour accomplir le service de Dieu et que ce service est impossible à accomplir sans une prise de responsabilité.

Vous connaissez le Choulhan Aroukh, LE recueil de lois par excellence. Savez-vous quelle est sa première phrase ?
"Dieu est amour, il vous sauvera" ?
Raté

"Dieu est tout-puissant, n'essayez même pas de bouger, de toutes façons tout est écrit" ?
Encore raté

"Priez Dieu tous les jours, il vous fera réussir vos partiels" ?
Toujours raté

La première phrase du Choulhan Aroukh c'est "Itgaber Kaari Laamod Baboker Laavod ete Boreo"
"L'homme doit se surpasser/renforcer comme un Lion lorsqu’il se lève le matin, pour servir son créateur"

Voilà la différence entre deux conceptions de la foi, qui ont d'ailleurs mené Leibowitz à répondre à un ancien président de la cour suprême, rescapé d'Auschwitz:

- Professeur Leibowitz, après la Shoa, je n'ai plus cru en Dieu
- Alors cela veut dire que vous n'avez jamais cru en Dieu: vous avez cru en un Dieu présent pour vous soutenir et vous sauver du malheur. Mais Dieu n'a aucun devoir envers vous. La vraie foi en Dieu c'est de savoir que nous en avons envers lui et que nous devons les respecter.

Ou dit autrement:
"A ceux qui me disent croire en Dieu ou dans le divin, mais ne pas être prêts à assumer le joug des mitzvot, je demande toujours: en quoi croyez-vous ?
En un vénérable vieillard installé dans les cieux et qui, de là-haut tire les ficelles du monde ? Et si même vous étiez sûr qu'il en est bien ainsi - en quoi cela vous regarde-t-il ?"

La première fois que j'ai lu ce passage, j'ai eu beaucoup de mal à dormir...

mercredi 28 novembre 2007

Vayechev - Joseph ou le Juif Français

Oubliez Star Wars, voici la nouvelle trilogie !

Vayechev - Mikets - Vaygach, ce sont les 3 parachyot à venir qui, selon la tradition, sont liées parce qu'elles racontent en continu la même histoire: celle de la vente de Joseph par ses frères, la vie de celui-ci en Egypte, son ascension sociale (il est devenu n°2 !) et ses retrouvailles avec ses frères.

Notez bien que:
- Spielberg ne s'y est pas trompé, après "Le prince d'Egypte", il a racheté les droits au Tout-puissant et a fait pareil avec l'histoire de Joseph (Joseph, le Roi des rêves - copyright Dreamworks)
- Alors que dans Starwars (épisode V), Dark Vador disait à Luke: "Je suis...ton père !", Joseph dira plus tard: "Je suis...votre frère !"

Bon, mais en attendant le film, tournons-nous vers Joseph. Joseph ou le Juif Français.
Pourquoi le Juif Français ? Parce que toutes les questions que l'on peut se poser sur ce sujet (peut-on être Juif et Français, peut-on vivre un judaïsme authentique en exil, etc...) se trouvent posées dans la vie de Joseph.

Imaginez: lui qui vient d'une famille nombreuse d'un bled paumé, se retrouve esclave en Egypte (autant dire New-York ou Paris, bref le summum de la vie culturelle de l'époque), connaît peu à peu les fastes du régime, le luxe d'une société riche et les vertiges du pouvoir.
On dirait aujourd'hui qu'il est un Juif Français bien intégré !

Mais un évènement retient notre attention: Joseph était esclave à la maison de Potiphar, un haut dignitaire égyptien. Arrive un moment dans la parasha où l'on nous raconte que la femme de Potiphar, très attirée par Joseph, lui a fait un peu de "rentre-dedans".
Et le midrache nous dit que Joseph était à deux doigts de commettre l'irréparable (en résumé, il allait se la faire), lorsque la figure de son père lui est apparue: il se souvint de son éducation et s'enfuit de la maison de son maître.
Quelle force ce Joseph ! Un vrai "mensch" ! Ou, comme le disait Pirelli: "Sans la Maîtrise, la Puissance n'est rien". Vraiment ce qu'on appelle "un juste".

Sauf que les commentaires ne sont pas si cléments avec Joseph !
Exemple: on nous dit juste avant l'épisode fatal que Joseph était "beau de stature et d'apparence" (traduction inexacte).
Pourquoi nous dit-on seulement maintenant qu'il était beau ?
Pour tous les autres personnages de la bible, on nous le dit beaucoup plus tôt, histoire qu'on sache déjà à qui on a affaire !
Rachi, le français champenois, explique que Joseph s'était mis à adopter de plus en plus les coutumes égyptiennes: il a commencé à se coiffer à la mode égyptienne, à adopter les petites manies locales, et se laisser doucement emporter par la vie égyptienne, la Dolce Vita de l'époque.

C'est alors qu'il arriva chez la femme de Potiphar pour, dit le texte, "aller faire son travail".
Le Talmud discute de la nature de ce travail.
Rav (un des maîtres du Talmud) explique qu'il s'agit vraiment de son travail d'esclave.
Shmouel (son copain du Talmud) en revanche, explique qu'en fait il voulait assouvir ses désirs: c'était ça son travail.
On se rend compte que Joseph n'est peut-être pas si "clean" que ça. C'est un Juif bien intégré, mais qui finalement porte les valeurs de son pays d'accueil en oubliant progressivement son héritage originel.
Ce qui le sauve ? La figure de son père qui lui apparaît juste avant la catastrophe: il se souvient qu'il est le fils d'Israël et qu'il n'est en Egypte que pour accomplir la promesse qu'a faite Dieu à Abraham.
Toute la vie de Joseph, c'est ça: la tension entre être le fils d'Israël et être intégré à son pays d'accueil.
Joseph, c'est la figure du Juif d'exil par excellence tenté par des cultures étrangères.

La concordance de l'histoire de Joseph avec Hanouka n'est d'ailleurs pas anodine: c'est la même problématique. Le fait que le héros de Hanouka s'appelle Juda, comme le frère de Joseph qui s'oppose à lui n'est pas un hasard non plus...

Quelle leçon devons-nous en tirer ? Laissons la conclusion à une des commentatrices les plus célèbres de la Thora: Nehama Leibowitz.
Celle-ci est la soeur de Yeshayaou Leibowitz et donnait des leçons de Thora aussi limpides et profondes que pédagogiques. Elle était profondément juive mais aussi très inspirée de valeurs occidentales.
Sa conclusion sur ce commentaire est le suivant (adaptation libre): "Si Joseph a réussi à s'extraire de l'assimilation totale à la dernière minute alors qu'il était le fils de Jacob et que son héritage juif était extrêmement puissant, comment s'en sortira celui qui sait vaguement qu'il est juif grâce à quelques cours de Talmud Thora le dimanche matin de 10 à 13 ans ?"

Une, sinon LA mission des cadres de la communauté juive de France n'est-elle pas de faire réapparaître la figure de Jacob ses fidèles ?

jeudi 22 novembre 2007

Vaychlah - Dites Merci !

Direction le moyen-âge.

La grande mode du monde juif à l'époque, c'est d'essayer de réaliser le code de lois "ultime" où l'on pourrait trouver toutes les règles et toutes les décisions tranchées par les décisionnaires sur la pratique du judaïsme.
Plusieurs s'y sont essayés, le Smag, Maïmonide (dont la clarté et l'exhaustivité de son oeuvre sont inégalées jusqu'à aujourd'hui), le Rama, etc...jusqu'à un certain Rabbi Yossef Caro, qui en réalisant le Choulhan Aroukh a créé un véritable tournant.
Mais ce qui nous intéresse cette semaine, c'est l'auteur à partir duquel Rabbi Yosef Caro a bâti sa structure: le Tour (Rabbi Yaacov ben Acher).
Le Tour donc, explique la chose suivante: les 3 pélerinages obligatoires devant être faits à Jérusalem à l'époque du temple sont liés à nos 3 patriarches:
- Pessah est lié à Avraham
- Chavouot est lié à Itshak
- Soukot est lié à Yaacov

Pessah pour Avraham, on comprend: il a demandé à sa femme de faire des Matzots quand les anges sont venus le visiter, ce qui correspond à la vertu d'Avraham: la bonté.

Chavouot pour Itzhak, OK, c'est bon, car on raconte que le Shofar a été sonné au mont Sinaï lors du don de la Thora, Shofar qui symbolise le bélier qui a été pris pour sacrifice à la place d'Itshak au dernier moment (comme dans l'Arme Fatale, au moment où Riggs découpe le fil rouge (non bleu) quand le compteur est à 001...). En plus, Chavouot, c'est le don de soi pour servir Dieu, ce qui est exactement l'attitude continue de notre père Itshak

Soukot pour Yaakov, c'est plus compliqué. Quel rapport ?
Le Tour répond de façon lumineuse: "Comme il a fait des cabanes pour ses moutons et qu'il a appelé cet endroit Soukot, alors hop on a relié Yaakov à Soukot".
Super, il a fait des cabanes pour ses moutons. Fort bien. Un peu bizarre quand même.
Pourquoi appeler d'un nom spécial un endroit où on fait des cabanes ?
Le Orah Haim répond la chose suivante: c'était la première fois dans l'histoire de l'humanité que quelqu'un protégeait ses animaux.
Mais attention ! dit le Rav Bergman (le gendre du Rav Schakh), Yaakov n'a pas couvert ses animaux pour son propre intérêt parce qu'il pensait qu'il se ferait plus de tunes avec des moutons en bonne santé. Il l'a fait parce qu'il a reconnu les bienfaits que lui apportaient les moutons.
Oui, oui. Yaacov reconnaît que c'est grâce aux moutons qu'il gagne sa vie, alors il les protège en guise de reconnaissance. Yaacov, c'est le roi du "Hakarat Hatov". Il "reconnaît toujours quand un bienfait est réalisé".
Il reconnaît par exemple que son frère (Esaü), même si c'est un vrai blaireau, a toujours respecté ses parents comme aucun homme ne le fera jamais dans l'histoire de l'humanité.
Il va demander à son fils de s'occuper du bien-être des moutons car il reconnaît le bienfait apporté par ces bêtes.
La Thora de Yaacov, c'est de ne jamais être ingrat, c'est de toujours remercier lorsque quelqu'un, (ou même quelque chose !) nous apporte un bienfait.

Et là, on comprend mieux le rapport avec Soukkot.
Soukkot, c'est la fête par excellence où l'on remercie Dieu de nous avoir sorti d'Egypte et de nous avoir protégé dans le désert par des nuées. Comme l'a fait avant nous notre patriarche Yaacov....et comme on ne sait que très rarement le faire dans notre monde !!
Combien d'employés ou de membres bénévoles d'associations ne se sont jamais entendre dire "Merci" par leur chef pour tout le travail accompli ? Combien de personnes se sont-elles investies dans une association ou un mouvement sans qu'on ne reconnaisse le bienfait qu'elles y ont apporté ?

C'est là une des leçons de la paracha de la semaine:
- oui, il faut faire preuve de bonté et aider les autres comme l'a fait Avraham
- oui, il faut se donner à fond dans ce qu'on fait, comme l'a fait Itshak
- oui, il faut remercier ceux qui donnent , comme l'a fait Yaakov...
- et oui, un "travailleur" sera vingt fois plus motivé si on lui dit: "Merci c'était génial", que si on lui filait un chèque d'heures supplémentaires... !

lundi 19 novembre 2007

Vayetsé - Stairway to Heaven

Je ne pourrai évidemment pas commencer cet article hebdomadaire (posté en retard en plus !) sans vous renvoyer au commentaire de mon ami Benjamin sur la Paracha Vayetsé.

Vous verrez, c'est la classe, beaucoup plus rigoureux et clair que ce que je peux faire ici.
Le problème, c'est que comme il est très demandé, il ne fait qu'un article tous les 2 mois...mais quel talent !
L'adresse: http://www.jafi.org.il/cnef//judaisme/judaisme_vayetse.asp

Nous, on va plutôt partir du côté de l'histoire de l'échelle. Vous vous souvenez de Jacob ?
Il prend la bénédiction de son père et hop, il se casse ! Pendant 14 ans, nous disent les commentaires, Jacob est allé à la Yéchiva, a étudié jour et nuit et n'a pas dormi: oui, oui, je te jure, pendant 14 ans il a pas dormi ! (ils sont un peu tunisiens dans la Thora).
Bref, quelqu'un de sérieux. Et finalement, sur le chemin de son oncle où il est censé trouver une femme, il s'endort...repos bien mérité. Et c'est là que la Thora nous parle d'un événement qui a été commenté dans ses moindres mots, recoins et petits détails par : Jacob rêve.

Il rêve d'une échelle, d'une grande échelle, qui monte jusqu'au ciel et de laquelle 2 anges montaient et 2 anges descendaient.
Le Talmud (Houlin, 91a) explique la chose suivante: ils montaient pour voir la tête de Jacob dans le ciel, et descendaient pour voir la tête de Jacob sur terre.
Le Rav Soloveïtchik, le petit-fils du Rav Haim de Brisk connu pour son approche quasi-mathématique et scientifique de la halacha donne l'explication suivante: ce qui est étonnant chez Jacob, c'est que les 2 têtes de Jacob sur terre et dans le ciel coïncidaient !
Et les anges ont trouvé ça tellement merveilleux qu'ils n'arrêtaient pas de faire l'aller-retour !

C'est con des anges, non ?
D'autant plus qu'on ne comprend pas vraiment ce qu'il y a de si fantastique d'avoir sa tête en "miroir" dans le ciel !

Mais le Rav Soloveitchik explique ceci avec un concept bien connu: un homme naît sur terre avec des capacités et un potentiel qui lui est propre. A lui de le développer pour qu'il arrive au "top du top". Et ce n'est pas toujours facile...
Mais Jacob l'aurait apparemment réussi ! Ce que Jacob était sur terre était exactement ce à quoi il pouvait aspirer avec tous les atouts que le ciel lui avait donné.

C'est en fait la fameuse histoire qu'on attribue à des dizaines de rabbis différent: je la connais avec Rabbi Simha Bounam.
"Quand j'irai là-haut, on ne me demandera pas pourquoi je n'ai pas été Michael Jordan puisque je n'ai jamais su sauter plus de 10 cm. On ne me demandera pas pourquoi je n'ai pas été Einstein, j'étais nul en physique. En revanche, on me demandera des comptes: pourquoi n'as-tu pas été Simha Bounam, celui que tu aurais pu être si tu avais développé toutes tes capacités !".

Mais attention ! Un juif est toujours sur une échelle: une échelle, ça ne sert pas à se reposer ! Pour ça, il y a des canapés, des fauteuils, des rondins, etc…Une échelle, ça sert à monter ou à descendre.
Ce n’est pas pour rien que, selon le Midrach, Jacob vit en rêve Moïse tout en haut de l’échelle et Korah (cousin de Moïse qui voulut lui contester son autorité) tout en bas. Un Juif doit monter encore et encore. Sinon, il chute !
Ce qui peut être bien s'il arrive à remonter, mais l'essentiel, c'est de comprendre que la stagnation n'est pas une notion juive : « Tout celui qui n’augmente pas son savoir le diminue » disent les Pirkéi Avot.

Plus que la Maguen David, c'est peut-être l'échelle qui symbolise le mieux la vie d'un juif...

mercredi 14 novembre 2007

Le Marketing Mix raté du Consistoire de Paris

Le Consistoire de Paris va mal.

C'est un fait, notamment établi par son nouveau Président Joël Mergui. Il va mal d'un point de vue financier et organisationnel. Mais plus grave, il va mal du point de vue de son positionnement.




Comment en effet expliquer qu'une institution qui est censée représenter le judaïsme sur le plan cultuel passe complètement à côté des bénéfices apportés par le regain identitaire que connaît la communauté juive de France depuis déjà quelques années ?

Le cas n'est pas nouveau si on le transpose au monde économique: comment expliquer qu'AOL est une boîte en pleine déconfiture alors que les utilisateurs à Internet n'ont jamais été aussi nombreux ?

La réponse est la même: la stratégie et le positionnement sont mauvais.

Essayons de faire un modeste exercice de stratégie marketing appliquée au Consistoire de Paris, pour comprendre ce qui cloche.

Les préalables:

Avant d'appliquer la fameuse théorie des 4P (cf. plus loin), il faut d'abord définir notre base d'étude: quel est le "marché" que vise le Consistoire, quelle est sa cible et y a-t-il une segmentation possible ?

Le marché, c'est la Communauté Juive parisienne. Disons plus de 250 000 personnes.

Problème: cette population est extrêmement hétérogène et diverse. Alors que dans les années 50, le modèle du juif français traditionnaliste était plutôt uniforme, les années 90 ont fait exploser ce paradigme: entre radicalisation religieuse de certains milieux, l'impact de plus en plus grand d'Israël sur la vie de la communauté et la modification du rapport des juifs français vis-à-vis des institutions françaises de manière générale, le Consistoire n'a pas suivi.

C'est le premier problème du Consistoire: il ne sait plus à qui il s'adresse.

Les 4P:

Voyons ce qui cloche dans les 4P du Marketing Mix: Product, Price, Place, Promotion (Produit, Prix, Distribution, Communication).


Le Produit:

Qu'offre le Consistoire ? Pendant longtemps l'offre du Consistoire a été:

- la prise en charge de communautés synagogales
- le monopole sur l'abattage et la distribution de la viande cacher
- l'organisation des évènements de la vie (mariage, décès, bar-mitzva,...)


Le principal problème du Produit offert par le Consistoire aujourd'hui, c'est que son positionnement n'est plus adapté à son public. La preuve:

- Les communauté consistoriales sont aujourd'hui dépassées en dynamisme et en innovation par des communautés autonomes. Les Juifs parisiens d'aujourd'hui ne veulent plus aller à la Synagogue comme on va à l'Eglise. Qui a encore envie de prier dans une synagogue monumentale avec vitraux aux fenêtres et cantor limite kitsch ? Allons plus loin, est-ce que prier est la principale activité recherchée par les fidèles ?

Lorsqu'on voit les formidables activités péri-liturgiques organisées par des communautés indépendantes type Ohaley Yaakov (rue Henri Murger), des centres d'Etude type Alef ou Lamed, des communautés spécifiques du type MJLF ou Massorti ou encore les initiatives proposées par les CCJ, ces rassemblement de communautés sur un plan départemental, on ne peut que constater une certaine inertie dans certaines communautés historiques appartenant au Consistoire.

Bien entendu, le constat n'est pas univoque: à Neuilly, à Boulogne ou à Vincennes par exemple, la vie communautaire se défend bien. Mais ces communautés ont un atout principal: elles se trouvent dans des villes où le nombre de Juifs a augmenté ces dernières années. Mais j'y viendrai lorsque nous parlerons du deuxième "P": "Place".


Pour ce qui est de la cacheroute et de l'organisation des événements de la vie, le constat est tout aussi préoccupant.

Dépassé par une certaine radicalisation de la communauté, la région parisienne a vu fleurir nombre de cacherout concurrentes (Loubavitch, Rav Rottenberg,...) se positionnant comme étant:

- moins onéreuses que celle proposée par le Consistoire
- de meilleure qualité (glatt, Halak bet Yosef et j'en passe...)

Ca, c'est sur la viande. Sur les produits manufacturés, les cacherout ne se comptent même plus et il est de plus en plus compliqué de s'y retrouver entre les cacherout internationales (Suisse, Italie, Angleterre, villes obscures d'Israël) où le meilleur cotoie parfois l'escroquerie la plus évidente.

Sur la viande, en refusant une segmentation de la cacherout (Beth-Din, Glatt Beth-Din, etc...) qui aurait pu avoir un sens d'un point de vue halakhique (mais sur laquelle il aurait été effectivement très compliqué de communiquer), le Consistoire a laissé le champ libre à des cacherout concurrentes.
Conclusion: une perte financière importante qui se ressent aujourd'hui dans les comptes de l'institution



Sur l'organisation des mariages, Joël Mergui a récemment réagi en posant publiquement la question des cérémonies en Israël: ceux-ci grèvent une partie du budget du Consistoire puisque l'argent dévolu aux synagogues et aux traiteurs part en Terre Sainte sans possibilité pour l'ACIP d'en tirer un bénéfice. Dans une moindre mesure, les mariages dont la Houpa se déroule à l'extérieur (donc sans passer par la case Synagogue) posent un problème similaire.


Le décalage de positionnement est ici flagrant: qui a encore envie du tralala napoléonien pour se marier ? Pourquoi dépenser des milliers d'euros en France alors qu'une fastueuse cérémonie avec le soleil en prime coûte jusqu'à 3 fois moins d'argent en Israël ?

Dernier point: l'école juive a explosé en France. Plus de 30000 élèves sont aujourd'hui scolarisés en Ecole Juive. Le Consistoire avait-il vocation à s'engager dans l'éducation juive ? On peut le penser, même si le FSJU y a pris une part importante et qu'il est toujours difficile à ces 3 institutions que sont le CRIF, le FSJU et le Consistoire de travailler main dans la main.

Mais pourquoi avoir laissé le champ libre à des institutions telles que Ozar Hatorah ou le mouvement Habad sur ce terrain ? Manque d'ambition ? Manque de moyens ?

Bref, pour résumer, ce que propose le Consistoire n'est plus en adéquation avec les attentes de la Communauté juive de France.


L'emplacement:


Question: combien y a-t-il de communautés consistoriales dans le 16ème, 17ème et 19ème arrondissement de Paris, connus pour être les arrondissements les plus fréquentés par les juifs parisiens ?

Réponse: Zéro. Vous avez bien lu. Zéro pointé. Toutes les communautés de ces arrondissements se sont créées sans l'aide du Consistoire.


Dans le 17ème: Centre Rambam, Rue Barye, Centre Lamed. Autant d'initiatives issues d'un petit groupe de personnes qui n'ont pas senti l'avantage qu'aurait pu leur apporter un soutien du Consistoire.

Dans le 16ème: il y a bien sûr les communautés historiques de Copernic et de Montévidéo. Mais l'afflux récent de juifs dans cet arrondissement a produit une prolifération de nouveaux "mynianim" dans lesquels le Consistoire n'est jamais intervenu: Montévidéo séfarade, Avenue Victor-Hugo, Loubavitch, office tunisien rue St-Didier, rue Lekain, etc, etc...


Et puis le 19ème, quelle anomalie ! L'arrondissement qui concentre le plus de juifs parisiens, le plus de restaurants cacher, le plus de commerces juifs, n'a strictement aucune communauté consistoriale en son sein.


Jamais le Consistoire n'a voulu ou n'a pu travailler de façon proactive, par exemple en tentant de bâtir une structure consistoriale là où se trouvait un public. Ah si, il a été vaguement question d'un nouveau Centre Communautaire dans le 17ème....où en est-on ?


Conclusion:


Y a du boulot...si l'on veut encore croire à une institution telle que celle du Consistoire. Est-elle encore valide sous sa forme actuelle ?
Il est permis d'en douter.
Mais peut-être est-ce simplement le signe qu'une mutation est nécessaire pour mieux répondre aux aspirations spirituels des juifs français ? On ne peut que le souhaiter !



PS: Sur le Prix et la Communication (Promotion), je n'ai pas grand chose à dire. Si on se débrouille pour résoudre le problème du Produit et de l'Emplacement, on aura déjà fait un grand pas !

jeudi 1 novembre 2007

Hayé Sarah - Judaïsme et Ecole des Fans

"Lorsque vous entendez quelqu'un dire: "le judaïsme pense que...", alors attendez vous, dans 95% des cas à entendre une grosse bêtise !"
Cette affirmation pleine de bon sens trouve une superbe illustration dans la Paracha Hayé Sarah.
On y parle de plusieurs choses, notamment :
- de l'achat par Avraham d'un caveau à Hébron pour y enterrer sa femme, puis sa famille;
- de la recherche d'une femme pour Isaac par Eliezer, le serviteur d'Avraham;
- du mariage de Isaac et de Rébecca,
- et enfin, de la fin de la vie d'Avraham.

Avraham, nous dit le texte, qui s'est remarié avec Ketoura et qui a été enterré par Isaac ET Ismaël.
Ketoura, nous dit le midrach, c'est en fait Agar, la mère d'Ismaël qui fut en son temps chassée sur ordre de Sarah, la femme d'Avraham.

Jusque là vous suivez ? Sinon, regardez les Feux de l'Amour, c'est un bon entraînement...Toujours est-il qu'à la fin de la vie d'Abraham, Agar et Ismaël sont bien présents à ses côtés, ce qui semble prouver une certaine réconciliation entre les frères ennemis...

Mais les commentaires rabbiniques (le judaïsme, donc !) ne sont pas du tout d'accord sur l'objet de cette réconciliation !!
Avant de se plonger dans ces commentaires, tentons d'expliquer pourquoi c'est important:

Ismaël est assimilé par la tradition juive (et même musulmane) au précurseur, à l'inspirateur du monde arabo-islamique.
Toute l'histoire d'Isaac et d'Ismaël doit être pour nous une indication sur les relations entre le peuple juif et le monde arabe.

Attention, la Thora, ce n'est pas une boule de cristal: c'est l'histoire d'un peuple qui constitue un guide sur la façon de nous comporter envers l'homme et envers Dieu, quelles que soient les époques ou les générations.
Ce principe est résumé dans une formule: "Maassé Avot, Siman la Banim" -
"Les actions des pères sont un "Siman" pour les fils"

"Siman", c'est à la fois une boussole, un destin, un exemple et un signe, que nos ancêtres nous ont laissés. Le but n'est pas de vous dévoiler l'issue du conflit israélo-palestinien, mais de dégager une attitude adéquate vis-à-vis du monde arabe.
Et pour cela, il est impossible de ne pas explorer les textes, et en particulier celui de Hayé Sarah.
Alors que nous disent les commentaires ? Certains pensent qu'Ismaël s'est repenti.
En effet, il a été chassé par Sarah, avec l'agrément de Dieu, contre l'avis d'Avraham. La semaine dernière, Avraham a reçu une petite leçon de vie conjugale de la part de Dieu: alors qu'il hésitait à chasser Agar et Ismaël, Dieu (en personne) est venu lui rappeler un principe fondamental du mariage: "Kol acher Tomar elekha Sarah, Shema Bekola !"
Traduction libre: "Ne discute pas les ordres de ta femme !"

Les commentaires voient dans le retour d'Agar et d'Ismaël, le fait que celui-ci, qui disputait à Isaac la terre d'Israël et la descendance d'Avraham, a enfin compris une chose: celui qui accomplirait la promesse de Dieu, ce sera Isaac et ses descendants.
Rachi, par exemple, y voit une preuve dans le fait que le texte met Isaac AVANT Ismaël dans le verset disant: "Isaac et Ismaël enterrèrent Avraham".
Manitou est tout aussi catégorique: la fin de Hayé Sarah montre qu'un jour, après maintes disputes, Ismaël (donc le monde arabe) reconnaîtra enfin à Isaac (le peuple juif), le droit de s'installer sur la terre d'Avraham.

Mais nous avons d'autres commentateurs, qui sont d'un avis diamétralement opposé !
Parce que finalement, Agar et Ismaël, les pauvres, on les a carrément chassés dans le désert ! Alors qu'Avraham était pas super chaud !
Et on voit bien, dans le midrach, qu'Avraham est allé plusieurs fois leur rendre visite comme s'il avait quelques regrets !
Peut-être qu'Israël a une part dans cette dispute et qu'il doit assumer sa part de responsabilité en essayant de réparer l'injustice commise !
Les commentateurs y voient une indication lorsqu'ils constatent dans le texte qu'Isaac s'est marié avec Rébecca au même endroit où se trouvaient Agar et Ismaël lorsqu'ils ont été chassés de la maison d'Avraham.
Le midrach nous apprend qu'avant de se marier, Isaac est parti chercher Agar et Ismaël pour les ramener auprès d'Avraham et revenir sur l'expulsion dont ils ont été victimes.
De nombreux commentateurs se penchent sur cette expulsion et, sans tabou, remettent en cause certaines actions de nos patriarches: ceux-ci ne sont pas des Saints, ils ont leurs échecs comme tout le monde, mais leur attitude doit tout de même nous faire réfléchir.

Alors une fois qu'on a dit ça, il faut bien s'en sortir ! Qui a raison ? Faut-il lutter jusqu'à ce qu'Israël triomphe ? Ou bien, faut-il réparer les injustices commises envers Ismaël ? Si on se penche vers le Talmud, celui-ci semble se transformer en Jacques Martin (paix à son âme) : "Elou veElou divrei Elohim Haïm"
"Ces paroles-ci et ces paroles-là sont les paroles du Dieu vivant".
Tout le monde a gagné, tout le monde a raison !

C'est quand même trop facile, la Thora ce n'est pas l'Ecole des Fans: cette phrase du Talmud est plus subtile, elle vient nous dire que dans chaque interprétation de la Thora, il y a une vérité qui doit nous interpeller et que nous ne devons pas éluder.
Oserais-je faire un parallèle avec la situation actuelle ? La Thora et les commentateurs voudraient-ils nous dire qu'il ne faut sous aucun prétexte renoncer au droit existentiel du peuple juif à résider sur la terre d'Israël, tout en essayant de réparer les injustices qui ont pu être commises ?
Ou bien sous une autre forme: ce n'est pas parce que des injustices ont été commises, que le droit inaliénable d'Israël à posséder sa terre est remis en cause, comme semblent le dire certains ?

Toute la force de la Thora est là: c'est la dialectique et l'incessant dialogue sur l'interprétation qui donne à penser et qui éclaire la voie pour le juif d'aujourd'hui.

mercredi 24 octobre 2007

Vayéra - Avraham, Yoda et le Etrog

Ah, Vayéra !

La plus belle et la plus riche des parachiot de la Thora !

Oui, je sais, c'est ma paracha de bar-mitzva et donc je risque de ne pas être toujours objectif, mais bon...

Vous vous demandez ce que fait le portrait de Maître Yoda en en-tête de cette article sur une paracha ? J'y viens, j'y viens...

Vayéra donc, paracha dans laquelle on nous parle quand même de quantités de choses, l'annonce à Sarah de son prochain enfantement, son rire célèbre, l'histoire de la femme de Loth transformée en statue de sel, Sodome et Gommohre, le conflit (le 1er judéo-arabe ?) entre Sarah et Agar à propos d'Ismaël, la ligature d'Isaac, etc, etc...

Mais dans tout ça, c'est quand même la personnalité d'Avraham que l'on perçoit de plus en plus à travers les épreuves qui lui sont imposées.

A tel point, qu'un commentaire célèbre, le Torat Cohanim compare Avraham dans Vayéra à ce qu'on appelle dans la Thora: "Péri Ets Adar", "le fruit d'un bel arbre".

La tradition nous apprend que Péri Ets Hadar, c'est le Etrog que l'on utilise à Soukot.

Et vous me direz avec raison, quelle rapport entre Avraham et le Etrog ?

Le Talmud fait un petit jeu de mots sur "Peri Ets Hadar" et nous conseille de le lire "Peri Ets Hador" (ils se permettent des petites licences d'interprétation les rabbins, mais ne vous inquiétez pas, ils savent ce qu'ils font...)
Peri Ets Hador pourrait se traduire par "le fruit de l'arbre qui reste logé" (traduction personnelle qui n'engage que moi, il y a sûrement mieux !)
En fait, le Talmud fait référence à la caractéristique bien spéciale du Etrog: il ne pousse pas, puis mûrit, puis tombe. Il reste de manière constante "logé" sur son arbre, d'année en année.

Quel rapport avec Avraham ?

C'est que celui-ci, dans son comportement est toujours resté constant: Avraham, c'est pas le genre de type qui s'enflamme pour retomber aussitôt. Avraham, c'est le bosseur, c'est celui qui sait toujours raison garder, qui ne fait pas les choses à la légère. Il s'astreint à ne pas être lunatique, ni "feu follet". Son service de Dieu ne passe pas par des phases oscillatoires extatiques: c'est du solide.

Le Midrach explique par exemple que la marche pour aller sacrifier Isaac a duré 3 jours: ces 3 jours étaient nécessaires pour témoigner que l'attitude d'Avraham n'était pas une attitude dictée par une quelconque folie ou un délire mystique: c'est un acte mûrement réflechi, qu'il a eu le temps de méditer pendant 3 jours de marche.

La constance dans le comportement est érigée ici comme une haute vertu.

D'ailleurs, il est étonnant de voir certaines réactions des rabbins du Talmud. Lorsqu'on leur demande par quel mérite ils vivent dans ce monde, on a droit à des réponses plutôt bizzares..., jugez plutôt:"Je ne me suis jamais servi de la maison d'étude comme un raccourci pour aller d'un point à un autre" ou bien:"Je n'ai jamais appelé quelqu'un par un quelconque surnom moqueur"

C'est bien, c'est même très bien, mais franchement c'est un peu léger comme mérite... je sais pas moi, ils auraient pu parler de leur lutte contre l'antisémitisme, leur présence à la manif pour Israël, leur commémoration du Vel d'Hiv, ça aurait eu plus de force quand même !

Mais pour le Talmud, ce qui est important dans les réponses des rabbins, c'est le "jamais": ils se sont astreints à un comportement exemplaire, constant et jamais pris en défaut sur un sujet bien précis.

C'est ça la Force.

D'ailleurs, vous remarquerez que, une fois n'est pas coutume, Maître Yoda (de la racine YDA en hébreu pour savoir, connaissance, d'où la photo ci-avant) est d'accord avec le Talmud:

"Pour un Jedi, il n'y a aucune émotion, il y a la paix. Il n'y a pas d'ignorance; il y a la connaissance. Il n'y a pas de passion; il y a la sérénité. Un Jedi doit avoir l'engagement le plus profond, l'esprit le plus sérieux. L'aventure ? Ha ! Ces choses un Jedi ne les désire point !"
(in L'Empire Contre-Attaque, dialogue entre Maître Yoda et Luke Skywalker sur la Planète Dagobah)

Le judaïsme, contre l'Aventure ? Allez, un petit concours entre rabbins de la Michna pour y voir plus clair.

Ils se battent pour savoir quel verset peut contenir toute la Thora.

"Ben Zomma a dit: "j'ai trouvé un verset qui contient toute la thora: "Ecoute Israël, l'éternel est notre Dieu, l'éternel est un"

Ben Nanas a dit: j'ai trouvé un verset qui contient toute la thora:"Tu aimeras ton prochain comme toi même"

[NDLR: jusque là, que du classique et du politiquement correct à refiler tranquillement dans vos discussions de salon...mais attendez c'est pas fini ;-)]

Ben Pazi a dit: j'ai trouvé un verset qui contient toute la thora:"tu sacrifieras un agneau le matin et l'autre au crépuscule"Et Rabbi leur maître se dressa et décida: "La loi est selon Ben Pazi".


???


Complètement intégriste ce passage ! Le rite routinier serait mieux valorisé par la Thora que les grands élans du coeur ? Comment peut-on même comparer un verset devenu universel depuis sa récupération par les chrétiens et un verset qui n'est même plus d'actualité pratique en notre époque, faute de Temple ?

Le Maharal de Prague (dans Netivot Olam) explique le choix de Ben Pazi: son verset se réfère au Korban Tamid, le sacrifice qui devait se faire de manière continuelle, sans interruption, de jour comme de nuit: la constance, toujours le maître mot !

Et Emmanuel Lévinas, dans Difficile Liberté commente ce passage fameux, je lui laisse le mot de la fin:

" La loi rituelle du judaïsme constitue la sévère discipline qui tend vers cette justice. La loi qui mène à Dieu mène donc ipso facto vers l'homme; et la voie rituelle, à l'éducation de soi. Sa grandeur est dans sa régularité quotidienne. (...) La loi est effort. La quotidienne fidélité au geste rituel demande un courage plus calme, plus noble et plus grand que celui du guerrier".

Avraham, c'est ça: c'est cette fidélite à la constance, c'est une capacité à prendre du recul afin de ne jamais faire les choses de manière "folle".
En ces temps de Société du Spectacle où le "coup", "l'événement", "l'éclat" sont ô combien mieux valorisés que le discret travail de fond pourtant assumé par de glorieux soldats du labeur, il s'agit d'un message plutôt rafraîchissant...

mardi 16 octobre 2007

Lekh-Lekha - Avraham...et Durkheim

Lekh-Lekha, "pars pour toi", c'est la première rencontre avec notre Patriarche Avram.

Quoiqu'en fait, pas tout à fait, puisque son nom apparaissait en guest-star dans la paracha précédente, ce qui n'est pas complètement anodin (n'est-il pas intéressant que la première chose qu'on nous dit d'Avram, réputé pour être le père du monothéisme, c'est qu'il s'est marié...)

Mais c'est véritablement dans Lekh-Lekha que la saga d'Avram et de sa famille prend véritablement son envol. Le début est brutal. Dieu lui ordonne, tel Maître Yoda à un tout jeune Padawan: "Pars pour toi de ton pays, de ton lieu de naissance et de la maison de ton père"

Evidemment, à chaque fois que la Thora donne des précisions, les commentateurs s'étonnent,notamment de l'ordre des mots: notre ami Avram, si on doit refaire son parcours géographique, partira:

- d'abord de la maison de son père,

- puis quittera sa ville natale,

- avant de montrer son passeport et de quitter son pays d'origine.

C'est l'ordre logique. Et pourtant, la Thora choisit l'ordre inverse:

- d'abord du pays,

- ensuite de la ville natale

- et ensuite de la maison de son père !

Le Ketav veHakabala, un commentaire d'un élève du Gaon de Vilna répond la chose suivante: la Thora ne va pas gaspiller de l'encre à nous refaire un parcours touristique, fût-il celui de notre père Avram.

Elle veut nous enseigner quelque chose de plus profond. Avram a été choisi par Dieu pour initier la longue histoire du peuple juif. Pour commencer cette nouvelle histoire, il doit partir de zéro. La Thora semble nous mettre directement dans le bain en disant: "le candidat retenu, c'est lui, les compteurs sont à zéro, on va voir ce qu'il a dans le ventre".

Mais pour partir de zéro, Avram doit se défaire de toutes ses habitudes et coutumes passées. Il doit désapprendre son ancienne vie. Il doit d'abord oublier son pays et ses coutumes. Plus difficile, il doit faire abstraction de l'attachement qu'il a forcément pour sa terre natale. Mais le plus dur, c'est de quitter ses habitudes les plus profondes, sa culture, bref, ce qu'un autre juif, Emile Durkheim, fils de rabbin et créateur de la sociologie moderne appellera beaucoup plus tard, le fait social: "toute manière d'agir, de penser et de sentir, extérieures à l'individu, et qui sont douées d'un pouvoir de coercition en vertu duquel il s'impose à lui".


Avram doit quitter tout cela, s'il veut pouvoir être le père du peuple juif. Voilà pourquoi la Thora inverse l'ordre logique des choses... Ce qui est compliqué n'est pas tant de migrer d'un point de vue géographique. C'est de créer une rupture epistémologique dans son habitus routinier !

Mais on ne peut conclure sans dire où Avram doit aller et ça Dieu ne le dit pas !

Regardez bien le texte: il dit "pars à l'endroit que je t'indiquerai", mais ensuite plus rien, c'est prend ta boussole et article 22 (article 22: démerde toi comme tu peux).

Pourtant, regardons bien, dans la paracha de la semaine prochaine, la Thora nous donne un indice: elle réutilise la tournure "Lekh-Lekha", mais à l'adresse d'AvraHam, après que Dieu a ajouté un Hé au nom du patriarche, cette fois à l'occasion de la ligature d'Isaac: il ne lui demande plus de quitter son passé, mais de se tourner vers l'avenir: "Pars pour toi vers le pays de Moria...".

C'est là l'endroit où Avraham doit aller, accomplir la volonté de Dieu à l'endroit que Dieu a choisi. Toute l'histoire du peuple juif est résumée entre ces 2 Lekh-Lekha: s'extraire de nos habitudes matérielles et idolâtres pour se tourner vers le service de Dieu...même si le chemin est traversé d'épreuves !

mardi 25 septembre 2007

Souccot - Pour comprendre le lien entre Israël et les Nations

Souccot (ou Soukot) est une fête étrange à bien des égards.

Expérience vécue: autant il est facile d'expliquer à un non-juif ce que sont Roch-Hachana ("Nouvel an juif") et Kippour ("Grand pardon"), autant même en simplifiant à l'extrême, il est très compliqué de raconter qu'après avoir eu le pardon divin pour nos fautes passées, nous nous embarquions cinq jours plus tard dans une fête qui dure 8 jours (9 en Diaspora).

Surtout si c'est pour raconter que nous vivons dans des cabanes pendant 8 jours et qu'à la synagogue nous devons faire des gestes mi-mystique, mi-floklorique avec une branche de palmier, des feuilles de saule, des branches de myrte et un cédrat... Non, très franchement, c'est au-delà de mes forces.


D'autant que si l'on regarde bien, Souccot est peut-être la seule fête qui n'a pas été récupérée par le monde chrétien. Pessah va bien avec Pâques.
Chavouot avec Pentecôte.
Pourim avec Mardi Gras.
Hanouka avec Noël.
Mais Souccot n'a incroyablement pas d'équivalent.

Les Nations ne savent pas ce qu'est Souccot.

Cela est d'autant plus remarquable que dans la tradition juive, Souccot est une fête étroitement lié aux rapports avec les nations. Lorsque le Temple de Jérusalem fonctionnait, la fête de Souccot donnait lieu aux sacrifices de 70 taureaux, métaphore des 70 nations, elles-mêmes image pour signifier la totalité de l'humanité. Ces 70 taureaux n'étaient pas sacrifiés d'un coup.

On partait de 13 taureaux le premier jour, pour finir à 7 le septième jour.

Tout mathématicien amateur aura vite fait de faire le calcul avec la formule de la somme arithmétique apprise en classe prépa:


D'où que le nombre de taureaux sacrifiés à Souccot est égal à: S (1;13) - S(1;6) = (13*14)/2 - (7*6)/2 = 91 - 21 = 70.

Ces 70 taureaux semblant un appel à l'humanité à respecter les 7 lois noahides qui permettent aux Nations d'accéder au message divin, temps qui n'est pas encore arrivé.

C'est donc une fête éminente durant laquelle le peuple juif s'adresse au reste de l'humanité.

Ce qui est très étonnant, c'est que cette interprétation et le fait que Souccot est inconnu des Nations et en particulier du monde occidental (=chrétien) se trouve confirmé de manière troublante dans le premier passage de la Thora où l'on trouve le terme de Souccot. Rappelons le contexte, dans la paracha Vaychlah.

Jacob a obtenu la bénédiction de l'aîné au détriment d'Esaü. Celui-ci veut se venger, c'est donc le début d'une longue fuite pour Jacob. Fuite durant laquelle il se marie, fait des enfants, vit sa vie....et de longues années plus tard, il retrouve son frère. Le texte rend bien la façon dont Jacob craint terriblement ces retrouvailles. Mais finalement ça se passe plutôt bien. Si bien, que Esaü propose une sorte de "fusion"... Regardons le texte en détail:

Genèse (33;12)

Il [Esaü] dit: "Partons et marchons ensemble; je me conformerai à ton pas." Il [Jacob] lui répondit: "Mon seigneur sait que ces enfants sont délicats, que ce menu et ce gros bétail qui allaitent exigent mes soins; si on les surmène un seul jour, tout le jeune bétail périra. Que mon seigneur veuille passer devant son serviteur; moi, je cheminerai à ma commodité, selon le pas de la suite qui m'accompagne et selon le pas des enfants, jusqu'à ce que je rejoigne mon seigneur à Séir." Ésaü dit: "Je veux alors te faire escorter par une partie de mes hommes." II répondit: "A quoi bon? Je voudrais trouver grâce aux yeux de mon seigneur!" Ce jour même, Ésaü reprit le chemin de Séir. Quant à Jacob, il se dirigea vers Soukkoth; il s'y bâtit une demeure et pour son bétail il fit des enclos: c'est pourquoi l'on appela cet endroit Soukkoth.


Esaü représente, dans la tradition juive, la civilisation romaine dont l'occident et la chrétienté sont issus. Tout ce texte est une métaphore incroyable des relations futures entre Rome et Israël. Esaü veut aller vite, droit au but, c'est un impatient (cf. cet article magnifique sur le sujet) Il veut aller à Séir, qui représente la terre d'Edom, mais qui est aussi une métaphore explicite du jour de Kippour. En effet, un des instants majeurs de Kippour est le rituel des deux boucs dont l'un deviendra le fameux "bouc émissaire". Les deux boucs qui se disent "Seirim".


En d'autres termes, Esaü, Rome, la chrétienté peuvent et veulent aller à Kippour. Ils en connaissent la signification et le sens. Mais lorsqu'il s'agit d'aller à Souccot, les deux frères (jumeaux) se séparent. Seul Jacob/Israël pourra en maîtriser le contenu.


Je comprends désormais un peu mieux pourquoi il m'est si difficile d'expliquer la fête de Souccot... D'autant que ces réflexions m'obligent à aller en chercher le sens profond et la raison pour laquelle c'est une fête finalement si spécifique !





vendredi 7 septembre 2007

Saul Lieberman and the Orthodox de Marc B. Shapiro


On ne se rend pas bien compte, depuis nos salons parisiens, à quel point les études juives (et par là j'entends les travaux de recherche sociologiques, philosophiques ou epistémologiques sur le monde juif) pratiquées en Israël et aux Etats-Unis sont à des années lumière de ce qui peut se pratiquer en France.

J'en ai encore eu récemment la preuve en me baladant sur un site passionnant: http://seforim.blogspot.com/

Le niveau académique de ce simple blog est tout simplement époustouflant. C'est notamment là que j'ai découvert les articles de Marc Shapiro, notamment une revue des livres consacrés à Ovadia Yosef absolument remarquable. J'en ai fait part à mon ami Byniamin Sznajder (brillant universitaire et grand connaisseur du monde de la Thora), qui a contacté Marc Shapiro (apparemment adorable en plus d'être brillant) et qui lui a fait parvenir par un étrange concours de circonstances deux exemplaires d'un de ses ouvrages.

Byniamin "Le Tailleur" m'en a très gentiment remis un exemplaire et c'est ainsi que je plongeais dans "Saul Liberman and the Orthodox".


D'abord, qui est Saul Liberman ?

Saul Liberman est essentiellement (un peu) connu en France pour avoir été, après M.Chouchani, le deuxième Grand Maître de Elie Wiesel, lorsque celui-ci s'installa aux Etats-Unis. Pour qui connaît un peu de réputation M.Chouchani, via Lévinas ou Shlomo Malka, le simple fait de savoir qu'Elie Wiesel lui accordait une dimension équivalente devrait nous rendre attentif.

Et en effet, Saul Liberman était considéré par bien des Sages de son temps comme un Gadol, c'est-à-dire une sommité dans l'étude de la Thora. Mais tout le long de sa vie, et c'est l'objet du livre, Saul Liberman a eu fort à faire dans ses relations avec le monde orthodoxe. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'en 1940, il accepta de devenir enseignant au Jewish Theological Seminary, le principal centre de formations de la mouvance Conservative aux Etats-Unis.

En effet, depuis la fin du XIXème siècle et jusqu'à cette époque, les conservatives (en France représentés par les Massorti) ont un problème crucial à régler. Toute leur idéologie tourne autour du respect de la halakha (à la différence donc du mouvement libéral), mais en s'autorisant parfois à remonter à des décisions talmudiques ou légèrement postérieures, sans tenir toujours compte des développements ultérieurs de la Halakha, notamment post-Choulkhan Aroukh.

Or, pour pouvoir être crédible sur ces sujets, il est indispensable de pouvoir compter sur des ressources internes au mouvement qui soient véritablement calées sur le Talmud et ses commentaires. Il faut donc des enseignants de qualité et qui maîtrisent la Guemara sur le bout des doigts. Où sont ces gens en 1940 ? Dans les Yéchivot orthodoxes évidemment. C'est là-bas qu'il faut aller les chercher en les convaincant d'enseigner dans une institution Conservative.

Tout le sujet du livre de Shapiro, c'est de nous conter cette aventure qui dura tout de même plus de 40 ans (Lieberman finit en effet par devenir Directeur du JTS), parsemée de relations très spéciales avec son monde d'origine: l'orthodoxie.


Un autre monde

Shapiro nous renseigne d'abord sur les relations de l'époque entre les orthodoxes et les conservatives. Contrairement à la situation actuelle, les contacts entre les deux bords sont, sinon fréquents, existants.
Les Conservative restent proche des orthodoxes sur beaucoup de sujets et sont encore bien distincts des mouvements libéraux (reformed aux Etats-Unis). Lorsque Lieberman arrive au JTS, c'est à l'issue d'un choix entre le JTS et la Yéchiva de son ancien condisciple le Rav Itzhak Hutner. Shapiro semble expliquer ce choix par des raisons purement pratiques: accès plus facile aux ressources académiques, confort, etc, etc... Il ramène également certaines sources tendant à dire que Lieberman avait un objectif "prosélyte" en allant au JTS, en d'autres termes, sensibiliser au Talmud, à la Thora et au respect des Grands d'Israël les étudiants de ce centre de formation.

Les réactions du monde orthodoxe sont contrastées, même si elles deviennent beaucoup plus sensibles à partir de 1949 lorsque Lieberman devient "Dean" (Doyen) de l'école rabbinique du JTS, puis recteur de l'institution en 1959, nous le verrons.

Une figure unanimement respectée

On l'a dit, Lieberman était considéré comme un Gadol. Il a notamment beaucoup travaillé sur le Talmud de Jérusalem, le parent pauvre du Talmud puisqu'il est plus ancien et confus que le Talmud de Babylone et qu'il n'a donc pas servi de façon systématique à l'établissement de la Halakha. Ses travaux sur la Tossefta sont également régulièrement cités par les plus grands auteurs (notamment son commentaire extensif Tosefta kiPeshuta), même si la façon de le citer en révèle beaucoup sur la perception de l'auteur sur Lieberman.

Certains, comme le Rav Weinberg (auteur du Seridei Ech), n'hésite pas à le citer largement et à lui accoler le titre de "Rabbi" Saul Lieberman, sans que sa situation personnelle ne rentre en ligne de compte.
Au niveau de la correspondance privée, c'est encore plus flagrant: Shapiro cite les titres qu'accollent à leur début de lettres d'éminentes figures telles que le Rav Weinberg, le Rav J.D Soloveitchik ou le Rav Ch.Y Zevin (auteur du classique Moadim beHalakha et directeur de l'Encyclopédie Talmudique): Géant incisif dans toutes les parties de la Thora, Grand Géant Sage et Scribe, Fabuleux Géant Guide de la génération, etc, etc... (en hébreu c'est un peu moins kitch que ma traduction).
D'autres vont être plus neutres: le "Rabbi" n'existe plus ou il est simplement mentionné "Hakham Ehad" (Un sage).

Quelques exemples intéressants:
Les Hassidim de Guer, qui entamèrent un cycle d'étude quotidienne du Talmud de Jerusalem afin d'en publier un commentaire inédit, ont bien évidemment sur leur table de travail les ouvrages de Lieberman (Ha-Yeroushalmi kePshouto et Tosefta kePshouto). Mais ils ne citent jamais ces commentaires nominativement, tout en rapportant le travail de Lieberman sous la formule "Il est possible de dire...".
La raison invoquée est limpide: "Nous voulons que notre commentaire soit utilisé". En d'autres termes, le nom de Lieberman peut suffire à décrédibiliser un commentaire tout entier.

Le magnifique livre du Rav Zevin Moadim beHalakha a été traduit en anglais par ArtScroll. Or, le Rav Zevin cite "R. Saul Lieberman" dans son ouvrage original en hébreu. La traduction en anglais omet bizarrement le titre R. (qui veut dire Rabbi).

Une des anecdotes les plus étonnantes que cite Marc Shapiro, et qui semble véridique, fut la réponse du Rabbi de Loubavitch (Menahem Mendel Schneerson) à propos d'une personne qui lui demanda si elle pouvait aller enseigner au JTS. Celui-ci lui répondit: "Tu peux rester, tant que reste Lieberman".

Ce comportement est lié à plusieurs choses:
- Saul Liberman est issu d'une famille prestigieuse et a été très tôt reconnu comme un futur Grand d'Israël. Il est marié à la petite-fille du Netziv de Volojhine et se trouve être le cousin germain du Hazone Ich, le fondateur de Bné-Brak et reconnu par tous comme le "Prince de la Génération" d'après-guerre en Israël.
- Même si Lieberman est lié au mouvement conservative, celui-ci semble ne jamais s'être considéré comme autre chose qu'orthodoxe. Même au JTS, il ne menait jamais d'office sans séparation entre hommes et femmes. Il a également âprement lutté vers la fin de sa vie contre l'ordination des femmes-rabbins comme de façon plus générale contre l'orientation très égalitariste du mouvement Conservative.

Il est bien évident qu'une personne moins brillante que Lieberman ou qui aurait intégré dans sa pratique personnelle des attitudes conservative aurait posé beaucoup moins de problèmes au monde orthodoxe.

Quelle référence Halakhique pour le traitement de Lieberman par les orthodoxes ?



Lieberman est un Grand, c'est acquis. Il semble toujours s'être considéré comme un orthodoxe. Mais que dit la Halakha sur un cas pareil ? Quelles relations peut-on ou doit-on avoir avec Lieberman et son travail ?


Il semble, à lire Shapiro, que les Sages modernes se soient appuyés sur deux grands principes opposés.


Le premier, c'est évidemment le traitement lié à tout celui qui se sépare de la communauté en empruntant un voie, qualifiée schématiquement "d'hérétique". C'est le cas de Lieberman puisqu'il fait partie intégrante du mouvement Conservative, que les orthodoxes considèrent comme très dangereux pour le judaïsme, presque plus que les libéraux. En effet, à l'inverse de ceux-ci, les conservatives considèrent que leurs prises de position halakhique s'appuient complètement sur la littérature talmudique.


Les orthodoxes craignent, et malheureusement la suite leur donnera raison, que les conservatives, en perdant le lien avec la tradition rabbinique, soient portés à prendre des décisions qui n'aient plus rien à voir avec la tradition juive. L'évolution de ce mouvement, que Shapiro rappelle en conclusion de ce livre (ordination des femmes, légitimation de l'homosexualité, etc...) et que Lieberman lui-même trouvait répréhensible justifiait de se tenir à l'écart de toute personne susceptible de défendre cette vision du judaïsme. D'où certaines prises de position visant à interdire toute relation avec Lieberman, ainsi que d'utiliser son travail.


Dans les faits, ce n'est pas tant à Lieberman qu'on s'en prend mais à ses fréquentations. En effet, au JTS enseignait également Mordekhaï Kaplan, fondateur du courant "reconstructionniste" qui, même pour Lieberman apparaît au mieux comme un illuminé, au pire comme un véritable hérétique. Shapiro montre cependant de manière convaincante que Saul Lieberman appliquait personnellement les mesures de Herem (sorte d'excommunication) émises par les rabbins orthodoxes à l'encontre de Kaplan. Malgré cela, le simple fait de savoir que Lieberman pouvait enseigner dans la même institution qu'une figure aussi décriée que Kaplan suffisait à le condamner.


Par ailleurs, l'implication croissante de Saul Liberman dans l'organisation interne du JTS (directeur de l'école rabbinique puis recteur du JTS) tendait à créer une preuve irréductible de la confusion facile entre Lieberman et le mouvement Conservative.


L'autre principe est issu du statut particulier d'Elisha ben Abouya. Son histoire est connue: maître éminent du Talmud, il perdit la foi pour des raisons complexes que nous n'analyserons pas ici. Cependant, son élève le plus brillant, Rabbi Méïr, ne voulut pas abandonner son maître et son enseignement. Il continua donc à étudier avec ce maître pourtant rejeté par tous ses collègues (au point d'être appelé dans la Guemar "Akher", "L'Autre"). Certains enseignements d'Elisha ben Abouya sont parfois rapportés par Rabbi Méïr mais sans citer le nom de son maître.


C'est la même démarche qui a prévalu pour Lieberman: son travail n'a pas été rejeté, mais sa référence reste cachée.


Comment Liberman a-t-il pu ?


Une question se pose: si Lieberman se considérait encore comme un Orthodoxe, comment a-t-il pu aller enseigner au JTS avec tous les problèmes halakhiques que cela posait ? Sa réponse était une pure réponse orthodoxe:


- S'il y avait un problème, les rabbins américains n'avaient qu'à me faire venir dans un tribunal rabbinique.


- Ma défense aurait été la suivante: j'ai posé une cheela (une question halakhique) à trois grands décisionnaires en Israël avant de partir. Deux d'entre eux m'ont autorisé à partir. Ce que j'ai donc fait.


Qui sont ces 3 décisionnaires ? Lieberman n'a pas voulu le révéler ailleurs que dans un Beth-Din, mais Marc Shapiro penche pour les 4 personnalités suivantes: R. Itzhak Herzog, alors Grand-Rabbin d'Israël (Palestine à l'époque), Rav Tzvi Pessah Frank alors Grand Rabbin de Jérusalem, Rav Isser Zalman Meltzer et son beau-père Rav Meir Bar-Ilan. Le problème de ce dernier étant qu'il ne peut pas être vraiment considéré comme un Grand d'Israël. De plus, il semble qu'il ait été opposé au départ de Lieberman au JTS.


Dans tous les cas, ceci confirme bien l'attachement de Saul Liberman à une attitude et à des modalités de fonctionnement proches du monde orthodoxe.



Quelle conclusion ?

Le livre de Shapiro est vraiment un condensé des relations houleuses entre orthodoxes et conservatives dans cette deuxième moitié de XXème siècle. Sa conclusion principale, un peu pessimiste, vise à montrer que les relations initiales entre Lieberman et les orthodoxes font désormais partie d'un monde perdu:



"Recent decades have seen Orthodoxy move to the right, just as Conservative judaism has moved to the left. Conservative judaism has embraced halakhic egalitarianism as an absolute, and seems on the verge of a major shift in the direction of legitimizing homosexuality. Considering the way the two movements look today, it is hard for many to imagine that there was a time when the divisions were not so stark, when one's denominational affiliation did not necessary place one in direct ideological conflict with members of other denomination. There was a time when great talmidei hakhamim of both denominations could be intellectual comrades, and outstanding minds from the Orthodox world could join their Conservatives colleagues in teaching Torah. It is a lost world of American Judaism."

J'ajouterais quand même une réflexion plus personnelle. Je ne connais pas bien l'oeuvre de Lieberman, mais il me semble qu'elle appartient principalement au champ académique. Des commentaires grammaticaux, des approfondissements de livres encore confus, des éclairages historiques lumineux sur certains passages...mais peu de commentaires avec une véritable implication personnelle et des innovations intellectuelles. Pas de révolution méthodologique comme ont pu en produire Maïmonide ou le Maharal. Mais même sans aller jusqu'à ces deux géants, on aurait aimé des développements aussi originaux que ceux de son ancien condisciple le Rav Hutner, des commentaires de la tradition qui auraient pu guider ses élèves dans le complexe déroulement de l'existence.


Peut-être qu'Elie Wiesel pourra nous renseigner, lui qui a semblé marqué par un enseignement qui avait l'air d'être tout sauf sec ?

mardi 4 septembre 2007

Alain Badiou - Circonstances 3: Portées du mot "Juif"

Le petit landerneau parisien s'est récemment agité à propos d'un livre d'Eric Marty: "Une querelle avec Alain Badiou, philosophe".

L'objet du délit ? Le livre, ou plutôt le recueil d'articles d'Alain Badiou paru en 2005 sous le titre "Circonstances 3: Portées du mot "Juif"".

Mini tempête médiatique, tribunes prenant la défense de Badiou (Daniel Bensaïd) ou au contraire condamnant sa prose (Roger Pol-Droit, Frédéric Nef), plus dans chaque camp les tenants du plus extrême politiquement correct, j'ai nommé:

- Aude Lancelin dans le Nouvel Observateur qui, si elle pointe bien l'opposition évidente entre Badiou et Milner, ne peut (ou ne veut) pas voir les lacunes considérables de la pensée de Badiou à propos du nom juif et cela, indépendamment d'Israël et de la Shoa (j'y reviens).

- Victor Malka sur France Culture, un phénomène celui-là, qui cite Berouria à longueur de temps pour mettre en avant le féminisme juif (en oubliant de préciser comment elle a fini), qui laisse publier dans son journal Information Juive un article de Claude Vigée sur Benny Lévy aussi bête et daté qu'anticlérical, et qui lorsqu'il reçoit Eric Marty se plaint du traitement du Talmud par Badiou alors qu'à la lecture, force est de constater que ce mot là lui est complètement inconnu (j'y reviendrai aussi).

C'est donc pour me faire une idée réelle de toute cette petite polémique, mais qui recèle un débat en fait vertigineux, que je commande le livre de Badiou.

Une question bien posée et fondamentale:


La question que pose Alain Badiou en introduction de ce recueil est la bonne. Faut-il faire du nom juif un nom particulier de la pensée générale ? Ce nom a-t-il une spécificité qui nous aiderait à mieux penser le monde ? Fait-on une erreur de raisonnement lorsqu'on pense la politique, l'universel ou le rapport à l'autre en évacuant la référence au nom juif ?

C'est cela qui oppose principalement les deux camps, dont les représentants les plus éminents sont Badiou d'un côté et Milner de l'autre.


...mais qui dérape très vite:


Selon Badiou, la spécificité de ce nom juif et les velleités de certains à le sacraliser trouvent leur origine dans cet événement singulier qu'est la Shoa et dans la situation unique qu'occupe l'Etat d'Israël.

Le nom de "juif" est une création politique nazie qui n'a aucun référent préexistant » (p. 40)

Badiou le redit en d'autres termes dans une émission sur RFI: il n'y a rien en commun entre tous les juifs assassinés par Hitler. Quel rapport en effet entre un riche banquier viennois et un pauvre paysan du shtetl ? Ils n'ont pas le même mode de vie, pas la même culture, pas le même rapport à la politique et à la collectivité.

Et puis, pour Badiou, dans cette classique définition certainement issue du pathétique jeu de mot hébreu = ever = passer = celui qui passe d'une culture à une autre sans appartenir à aucune, le Juif est celui qui "passe" de l'autre côté de sa culture d'origine.

Comme Jean Daniel (dans La Prison juive), comme Edgar Morin (dans Le monde moderne et la question juive) et comme d'autres, le prototype du "bon Juif", c'est Spinoza, c'est Marx, c'est Freud.

Pour Badiou, c'est même Paul de Tarse qui en prononçant cette phrase puissante (qui redevient à la mode puisqu'elle a été également magistralement commentée par Jean-Claude Milner dans Le Juif de savoir) accomplit au mieux la destinée du juif: "Il n'y a plus ni Juif, ni Grec, ni esclave, ni homme libre, ni homme, ni femme, car tous, vous n'êtes qu'un en Jésus-Christ".




Et c'est là que réside en fait la principale opposition entre Alain Badiou et Jean-Claude Milner, bien que peu de commentateurs l'aient relevée, chose normale dans un pays aussi peu sensible à la tradition religieuse que la France: ce qui oppose Milner et Badiou, c'est la reconnaissance d'une spécificité positive du nom juif.


Pour Badiou en effet (qui n'a pas lu Leibowitz), le fait historique consistant en ce que pendant près de 2000 ans, en tous cas jusqu'à la fin du XIXème siècle, les Juifs ont en effet partagé une spécificité commune qui était la soumission collective au joug des Mitzvots et à l'étude de la tradition orale, n'existe tout simplement pas. Aucune trace du Talmud chez Badiou. Le trou noir. Lorsqu'il cite Lévinas, c'est pour rappeler ses travaux philosophiques sur l'altérité. Lorsqu'il affirme que ce sont les nazis qui ont créé un signifiant globalisant, il oublie la tradition ininterrompue d'étude des textes. Il ne veut pas voir, qu'indépendamment de toute croyance et en vertu d'un principe purement matérialiste, ce qui a contribué au dynamisme et à la continuité hitorique du peuple juif c'est son rapport à l'étude du Talmud et à son application pratique.

Elément que n'a évidemment pas laissé passer Jean-Claude Milner dans "Les penchants criminels de l'Europe démocratique".

C'est cela la véritable faiblesse de la position de Badiou: bien sûr que l'on peut tenir que l'Etat d'Israël a une politique néfaste pour la région, pour les palestiniens et même pour ses propres habitants (cf. Leibowitz). Bien sûr également que l'on peut tenir très sérieusement que la marque laissée par la Shoa ne doit pas conduire à rendre le nom juif incontournable dans le champ de la pensée générale. Mais ces positions ne sont tenables que si elles englobent dans leur réflexion ce que le peuple juif a eu de spécifique et de différenciant (le Talmud, son étude et sa pratique), toujours maintenu par les Juifs traditionnels.





Spinoza, Marx et Freud ne sont que des dérivés, certes brillants, de cette habitude de réflexion et de violente dialectique propre à la tradition juive. Ils sont comme un des fruits d'un arbre robuste et puissant, mais qui comme tout fruit va pourrir un jour, alors que l'arbre se maintiendra encore vigoureux si la sève ne cesse pas de l'irriguer. La sève c'est le Talmud et sa préservation par le peuple juif traditionnel. Les fruits ce sont Jésus, Spinoza, Marx, Freud, Einstein, Paul de Tarse, mais aussi Edgar Morin ou Jean Daniel.

De plus ou moins magnifiques fruits mais qui ne voient plus l'arbre duquel ils proviennent.


Des interrogations tout de même:

Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Si Badiou ne reconnaît pas ce fait historique, matérialiste qu'a été l'importance de l'étude, il a le mérite de poser une question lancinante pour tous ceux qui se disent juifs mais qui n'ont plus qu'un lointain rapport avec la tradition.

"Je polémique contre ceux qui disent que « juif » est un nom, et non pas un mot, c'est-à-dire ceux qui soutiennent que le mode de rassemblement que ce nom forme est unifié et absolument irréductible à tout autre. A mon avis, cela n'est soutenable que si intervient la transcendance divine. Dans ce cas, et dans ce cas seulement, on peut soutenir que « juif » est un nom, parce qu'il s'inscrit dans l'espace d'une élection : « juif » est le nom de l'Alliance. Je soutiens, comme le fait de façon cohérente Levinas, qu'il n'est pas possible de maintenir cette exception nominale sans l'appui de la religion."


Badiou pose cette question: en quoi vous qui avez des grands-parents déportés pendant la Shoa ou habitez en Israël êtes-vous différent d'un point de vue ontologique d'un français breton ou auvergnat ? Est-ce cela qui vous donne ce droit de prendre une place démesurée dans le débat intellectuel français ?

A cela la réponse est claire: il n'est pas question de transcendance divine, même pas chez Lévinas. Il est question de l'effort difficile et acharné visant à étudier une tradition orale constamment renouvelée et à pratiquer un mode de vie fondé sur le respect des Mitzvots.

En revanche sans cela, la question de Badiou reste effectivement cruciale pour qui continue à vouloir se dire juif...



Nota: du simple point de vue du style, et bien que normaliens tous deux, il n'y a pas photo: Milner est inégalable...

dimanche 8 juillet 2007

Etre français en Israel: un concert de Ravel à Jérusalem

Je reviens d'un voyage assez court en Israël, mais qui s'est avéré extrêmement intense. Beaucoup de choses à raconter, mais d'abord une expérience assez insolite.

Arrivé dans la nuit de jeudi à vendredi, au lit à 3h30 du matin, il a fallu me lever à 9h30 pour pouvoir être à 10h30 au Théâtre de Jérusalem pour un concert de Ravel (mes grands-parents avaient des places depuis longtemps).

Le concert commence à 11h00. Déjà cette heure matinale est étonnante. Mais ce qu'il y a d'encore plus sympa, c'est ce qui se passe avant: dans le grand hall du Théâtre, tout le monde est servi avec du café, du lait et de succulentes patisseries !

C'est donc avec le ventre plein que nous rentrons dans la salle de concert. Au programme:
- Pavane pour une infante défunte
- Concerto pour piano en Sol majeur
- Boléro (le fameux)

Le tout sous la conduite de Gianandrea Noseda, chef d'orchestre titulaire de l'orchestre philarmonique de la BBC à Manchester. Et pour le concerto pour piano: Jean-Yves Thibaudet, Premier prix du Conservatoire, dont une des professeurs était une collaboratrice de Ravel, Lucette Descaves.

Le concert était extraordinaire, d'autant que c'est la première fois que je voyais le Boléro s'exécuter sous mes yeux avec toute la puissance dont est capable un véritable orchestre philarmonique sur cette partition si progressive et explosive.

Mais ce qui a été aussi frappant, c'est l'opportune présentation du concert par Emmanuel Halperin, journaliste israélien d'origine française de Ravel et de son oeuvre.
C'est d'abord un véritable plebiscite pour la France et la musique française, en hébreu devant une salle de concert remplie d'israéliens.
"La musique française est très spécifique. Elle ne ressemble à aucune autre. Elle est d'abord le produit de ce pays si particulier qu'est la France, un pays où n'importe qui partageant les valeurs morales et politiques de ce pays peut se dire français. Personne n'irait penser que Ravel, fils d'une espagnole n'est pas français. Qui oserait dire qu'Offenbach n'est pas le chantre de la vie parisienne du second empire ? Et pourtant, il descend de juifs allemands eux-mêmes issus de la ville du Gaon de Vilna.
Rendez-vous compte que la France est un pays où l'identité nationale demeure un concept tellement puissant qu'un ministère lui est désormais dédié, qu'un homme né de père hongrois et d'une mère descendantes de Juifs de Salonique peut se prévaloir d'être pleinement français, et non seulement ça, mais d'être le Président de la France, son représentant le plus éminent !"

Il faut se retrouver en Israël, pour entendre un rappel de pourquoi être français peut procurer de la fierté et quel est l'horizon vers lequel peut et doit tendre ce pays si particulier qu'est la France.
Emmanuel Halperin se lança ensuite dans une explication sémantique du mot "charme". Pour lui, c'est un des atouts de la France. Le mot "charme" ne se laisse pas traduire par le mot "Hen" en hébreu, qui veut plutôt dire la grâce. Le "charme" induit une dimension supplémentaire de magie, d'extra-naturel, au point d'appeler également charme certains sortilèges lancés par les sorcières ou les fées.

Le charme, ose Halpérin, c'est le meilleur qualificatif que l'on puisse trouver à la musique française. Pourquoi pas.

Reste que mon bref séjour à Jérusalem commençait fort bien et que je sortais vendredi après-midi encore plus enchanté par le dynamisme israélien et revigoré quant aux atouts de la France.

A suivre...

mercredi 27 juin 2007

Le Erouv - Une blague yéchiviste

L'humour juif... de Groucho Marx à Woody Allen en passant par Gad Elmaleh ou La vérité Si je mens vous êtes sûr ?), l'humour juif est devenu un véritable mythe.

Concept forgé autour des notions d'auto-dérision, de plaisanterie autour du désespoir, d'éloge des figures dantesque que sont la mère juive ou l'idiot du shtetl: disons qu'au final la définition en est tellement large qu'il serait presque possible de bâtir un recueil de toutes les blagues du monde toutes provenances confondues, de changer les noms des différents protagonistes en Cohen, Lévy, Bensoussan ou Berenstein, de titrer "Humour juif" sur la première de couverture et de vendre ça à des milliers d'exemplaires.

Oui, je sais, Marc-Alain Ouaknin ne s'en est pas privé, il a d'ailleurs poussé l'audace jusqu'à commettre le crime deux fois: il y a désormais sur le marché deux bibles de l'humour juif.

Si ça c'est pas une preuve du talent millénaire des juifs pour les affaires, je me demande ce que c'est...



Bref, donc l'idée, c'est d'essayer de revenir à la véritable source de l'humour juif, c'est à dire le Talmud. C'est là que sont consignées discussions enflammées, parfois loufoques, parfois étranges, souvent sans pitié pour l'adversaire intellectuel et toujours en prenant bien soin de mettre à distance tout pathos ou tragique. Avec un moyen formidable: l'humour (juif, le vrai).



Alors voici une petit blague, assez connue dans les milieux Yéchivistes, mais qui reflète bien une sorte d'humour juif dont les racines séculaires ont ensuite perduré.

Quelques éléments de traduction pour que tout le monde comprenne bien:

Havrouta = mode d'étude en Yéchiva qui s'apparent à un binôme: deux étudiants étudient régulièrement ensemble et s'affrontent sur l'interprétation à donner à un texte

Erouv = pour pouvoir passer outre l'interdiction de ne pas porter Chabbat, il est possible de contruire une barrière autour d'une ville pour faire de celle-ci une sorte de domaine privé dans lequel il sera possible de porter. Pour que le Erouv soit valide, il faut qu'il soit construit selon des règles précises et évidemment vérifié et validé par un Rav reconnu.

Quelqu'un qui porte à l'intérieur d'un Erouv validé par un Rav est donc "Somekh" sur ce Rav, c'est-à-dire qu'il accepte de s'appuyer sur la décision de ce Rav.



C'est donc l'histoire de deux étudiants fervents en Yéchiva, qui étudient en Havrouta (en binôme) depuis assez longtemps: Moché et Shlomo.
Un jour, Moché, très tourmenté, se tourne vers Shlomo:
"Shlomo, il faut que je t'avoue quelque chose.
- Ah bon, quoi Moché, c'est grave ?
- Oui, assez
- Vas-y, je t'écoute
- En fait Shlomo....je ne suis pas juif
- Quoi ?
- Bah oui, je ne suis pas juif
-Mais enfin Moché qu'est-ce que tu racontes ? Toi, Moché, le grand talmudiste, qui passe ses journées sur des pages de Guemara, tu n'es pas juif ?! Mais enfin, tu sais bien que ce que tu me racontes ne tient pas debout !
- Et pourquoi cela ?
- Parce que tu sais aussi bien que moi Moché qu'un goy n'a pas le droit de respecter le Chabbat sous peine de mort !! C'est un passage qu'on a même étudié ensemble. Et toi, je te connais bien, tu fais Chabat très scrupuleusement, plus que n'importe qui. Si tu es goy comme tu l'indiques, tu es donc condamnable à mort.
- Eh bien non Shlomo. Ca c'est ce que tu crois. Mais en fait, tous les Chabbat, je faisais bien attention à conserver un mouchoir dans ma poche pour transgresser l'interdiction de ne pas porter. Je transgressais donc Chabbat toutes les semaines.
- Mais c'est une ânerie, tu sais bien que dans la ville il y a un Erouv qui nous permet de porter
- Akhh, ça ne va pas non, je ne suis pas "somekh" sur ce Rav !!

Commentaire d'un de mes maîtres: celui-là, il n'a pas besoin de conversion, il est juif direct !

jeudi 14 juin 2007

Apple = Judaïsme ?


Il faut que je vous parle d'un truc. Je viens d'acheter un Mac. C'est mon premier, j'ai craqué vu que maintenant avec les nouveaux Mac-Intel, on peut aussi installer Windows en cas de problème.


J'y ai passé 2 heures hier et je ne suis toujours pas arrivé à comprendre comment un système aussi incroyable que Mac OS ait pu être supplanté par Windows. C'est plus beau, plus intuitif, plus rapide, plus efficace, bref plus tout et pourtant la majorité des personnes ayant un ordinateur dans le monde utilisent Windows.




C'est quand même bizarre que 90% des gens persistent à utiliser une mauvaise contrefaçon qui a essayé sans succès dans les années 80/90 de s'approprier les innovations d'Apple, non ?


Jusqu'à ce qu'une comparaison très hasardeuse me vienne subitement à l'esprit: il existe une religion majoritaire dans le monde, qui s'est créé à partir d'une première. Cette religion est ouverte à n'importe qui. Comme Windows peut marcher sur n'importe quel PC.

Alors que la religion originelle n'est dédiée qu'aux juifs. Comme Mac OS ne marche que sur des Apple.


Vu de ma fênêtre, et j'avoue c'est biaisé, le judaïsme me paraît être une "religion" nettement plus riche et intéressante à vivre que son succédané chrétien. Mais pourtant, la majorité des fidèles reste attaché à Windows/Jésus.

Est-ce à dire que pour conserver une certaine integrité intellectuelle/spirituelle, il est nécessaire de ne jamais disjoindre le hardware du software ? (Apple/MacOS, Juifs/Judaïsme).


Je délire sûrement un peu, mais franchement Mac, c'est quand même vachement la classe...


PS: une amie à qui je faisais la remarque ci-dessus m'indiquait une raison essentielle du succès des PC: "c'est moins cher et on en trouve partout. En plus on peut bricoler tout ce qu'on veut alors qu'avec un Mac, à part de la mémoire, on peut pas changer grand chose".

Eh bah, ça colle encore mieux ! Le judaïsme, c'est difficile, c'est parfois cher à appliquer et la halakha ne se bricole pas !

mercredi 30 mai 2007

Beealotekha - la Tragédie du Leadership

Beaalotekha, c'est une des plus troublantes Parachyiot de la Thora.

Incroyablement riche en évènements et en rebondissements, elle mérite malgré tout 2/20 en rédaction.
En français, vous avez appris la fameuse structure rédactionnelle: introduction, développement, conclusion. La Thora ne respecte pas vraiment toujours ce dogme rabâché aux élèves du lycée, mais elle a tout de même un souci de clarté: les histoires sont menées d'un bout à l'autre, les parachyiot ont un sens interne très lisible, bref, on comprend ce qui se passe.

Dans Beaalotekha, c'est très étonnant, on a plus l'impression de se retrouver au milieu d'un bazar sans queue ni tête. Je vous fais un rapide résumé de ce qu'il y a dans la Paracha, mais sachez quand même que la lecture intégrale de la Paracha sera nettement plus éclairante.
Alors, au menu:
- Aaron reçoit l'ordre de s'occuper de la Ménora, touche finale à l'inauguration du Michkan,
- La sanctification des Levy et leur rôle dans le Michkan
- Pessah Cheni, le 2ème Pessah un mois plus tard pour ceux qui auraient raté le premier...
- La façon dont les Hébreux voyagent à l'aide des nuées pour les diriger
- Le commandement de fabriquer des Trompettes pour pouvoir rassembler le camp
- Puis, un passage complètement lyrique de Moïse qui cherche à faire venir son beau-père Yitro avec eux lors de l'entrée en Israël
- Et puis, un passage très bizarre, entrecoupé graphiquement par un Noune à l'envers au début et un Noune à l'endroit à la fin dans lequel on parle de l'Arche (vous savez celle d'Indiana Jones dans le 1)
- Ensuite, les problèmes commencent: les hébreux veulent de la viande et en ont marre de la Manne
- D-ieu s'énerve, Moïse se plaint
- D-ieu lui file des assistants pour l'aider
- Eldad et Medad, 2 quidams, se mettent à prophétiser dans le camp que Moïse ne rentrera pas en Israël et que Josué prendra sa place
- Et finalement vient l'histoire de Myriam qui, dit-on fait du Lachon Hara sur son frère

Comme vous le voyez, c'est tout et son contraire, des passages apparemment sans aucun rapport: une Paracha pour le moins mystérieuse.
Le Rav J.D Soloveïtchik, dit "Jibi" pour les intimes, a prononcé une conférence mythique sur ce sujet en 1974. Parce qu'il faut dire que Jibi n'est pas n'importe qui: c'est le petit-fils du grand Rav Haïm de Brisk qui a été le grand promoteur de l'étude quasi-mathématique du Talmud et de la Halacha.
Il prolongea l'oeuvre de son grand-père dans ses oeuvres, notamment la plus connue "L'homme de la Halacha". Mais il a été aussi un leader, chef de la néo-orthodoxie américaine, qui éclaira d'un jour nouveau la pratique du judaisme dans le monde moderne.

Pour revenir à cette conférence mythique, son objectif était le suivant: restaurer l'unité profonde de cette Paracha.
Essayons de comprendre son approche: Pour le Rav Soloveïtchik, cette Paracha est en fait une seule histoire que l'on pourrait appeler ainsi: la Tragédie du Leadership.
On l'a déjà dit, il y avait 2 objectifs à la sortie d'Egypte: le don de la Thora et la construction du Michkan.
Après ces 2 évènements, il ne restait plus qu'une seule chose à accomplir: l'entrée en Israël.

Pour le moment, ca s'est plutôt bien passé. Certes, la faute du veau d'or a retardé la construction du Mishkan de 80 jours, mais au final, le Michkan a été construit. Et le début de Beaalotekha, c'est la fin de l'édification du Michkan: la Ménora et la sanctification des Levy.
Nous étions le 13 Nissan, il ne restait plus qu'à se mettre en route pour la "marche finale". Mais Pessah, approchant, il fallait attendre le 2ème Pessah célébré par les Hébreux dans le désert avant de commencer la marche.
Cette fameuse marche, tout le monde l'attend, il y a un sentiment d'excitation dans cette Paracha, comme si tout le monde attendait "l'ultime évènement". C'est pour cela qu'on nous parle des modalités de cette marche: qui mène la marche (les nuées), comment rassemble-t-on le peuple (avec des trompettes), etc...

Et puis vient cette mini-discussion entre Moïse et son beau-père:

"Moïse dit à Hobab, fils de Réuel, le Madianite, beau-père de Moïse: Nous partons pour le lieu dont l'Éternel a dit: Je vous le donnerai. Viens avec nous, et nous te ferons du bien, car l'Éternel a promis de faire du bien à Israël. Hobab lui répondit: Je n'irai point; mais j'irai dans mon pays et dans ma patrie. Et Moïse dit: Ne nous quitte pas, je te prie; puisque tu connais les lieux où nous campons dans le désert, tu nous serviras de guide. Et si tu viens avec nous, nous te ferons jouir du bien que l'Éternel nous fera."

Cette discussion, explique le Rav Soloveïtchik, est une métaphore entre le Juif et les Nations.
Car Yitro vient de Midian, c'est un étranger.
Et Moïse lui explique: "Ca y est, c'est la fin de l'histoire ! Nous arrivons au bout, nous allons arriver en Israël ! Servir D.ieu jusqu'à la fin des temps".
Moïse en est certain. On n'est plus dans le "Je crois que Mashiah arrivera un jour": ca y est, il est là ! Pas de problèmes, pas de doutes, tout est simple ! Moïse, par le biais de Ytro, invite l'ensemble des peuples de la terre à rejoindre la Thora pour la fin des temps...
Et puis...le passage étrange avec les Noun inversés, qui est considéré par le Talmud comme un Livre à part entière.
Ce passage: "Quand l'arche partait, Moïse disait: Lève-toi, Éternel! et que tes ennemis soient dispersés! que ceux qui te haïssent fuient devant ta face! Et quand on la posait, il disait: Reviens, Éternel, aux myriades des milliers d'Israël!" n'est pas à sa place.

Il n'est pas question de guerre à ce moment: Amalek est derrière eux et les futurs guerres n'auront lieu que 40 ans plus tard. Ce passage, ainsi que la présence des Noun inversés, veut nous dire quelque chose de plus profond.
Le Noun inversé c'est que quelque chose s'est déréglé. Cette belle certitude selon laquelle nous étions prêts pour le dernier voyage a été ébranlée. Comme si D.ieu disait: "je mets entre parenthèses ma protection divine".

A partir de ce moment là, l'histoire juive a pris un tournant fondamental, que nous continuons encore de subir aujourd'hui. La raison de ce dérèglement ?
Apparemment, pas grand chose: "Le ramassis de gens qui se trouvaient au milieu d'Israël fut saisi de convoitise; et même les enfants d'Israël recommencèrent à pleurer et dirent: Qui nous donnera de la viande à manger? Nous nous souvenons des poissons que nous mangions en Égypte, et qui ne nous coûtaient rien, des concombres, des melons, des poireaux, des oignons et des aulx. Maintenant, notre âme est desséchée: plus rien! Nos yeux ne voient que de la manne."

Ils veulent de la viande. Est-ce plus grave que le Veau d'or par exemple ? Certainement dit le Rav Soloveïtchik.
Le Veau d'Or était la réaction presque naturelle d'un peuple effrayé car il croit que Moïse, son leader, est mort. Il ne peut pas assumer de servir D.ieu sans représentation, alors son instinct le pousse à créer une idole. Mais l'intention reste bonne: il s'agit de servir D.ieu. Dans le cas de la viande, l'idolâtrie est nettement plus grave: le comportement est païen, il ne s'agit plus de servir D.ieu, il s'agit d'en vouloir toujours plus, d'être dirigé par un désir insatiable et infini, c'est la notion grecque d'Hédonisme, c'est penser que l'homme peut atteindre une valeur uniquement possédée par D.ieu: l'omnipotence et l'infini.
Grave transgression que de se prendre pour D.ieu.
Car c'est passer outre les valeurs de mesure et de limitation demandée par la Thora. La preuve ? La Manne. Il y en avait pour tout le monde. Ce qu'il fallait. Pas de "Rab" pour satisfaire l'instinct du "toujours plus". Cette attitude a remis en cause la fin des temps. C'est ce que Moïse sent. Et c'est ce que Eldad et Medad se mettent à prédire à l'intérieur du camp. Les problèmes commencent.
En 2007, on dirait: "C'est la merde".

Et c'est également là que Moïse découvre quelque chose d'essentiel. Il pensait que son rôle de Leader était d'être un Enseignant. Ce qui était vrai ! Passer du statut d'Esclave à celui d'homme libre nécessite une éducation particulière, un enseignant de haut-niveau !
Mais Moïse découvre dans cette histoire quelque chose d'autre. En plus d'être un enseignant, il se doit d'être aussi...une mère pour ses enfants. Il se doit d'être une mère car il doit réagir aux réactions les plus infantiles du peuple, il doit le protéger, anticiper son besoin, être heureux quand le peuple est heureux, avoir de la peine lorsqu'il en a....comme une mère avec son bébé.

Et ça Moïse ne sait pas s'il en est capable. Il doute: "Est-ce moi qui ai conçu ce peuple? est-ce moi qui l'ai enfanté, pour que tu me dises: Porte-le sur ton sein, comme le nourricier porte un enfant, jusqu'au pays que tu as juré à ses pères de lui donner?"
Son message, c'est: "je veux bien être un leader, un enseignant, mais pas une mère". Car en plus de cela, son rôle de "Mère" du peuple d'Israël lui interdit de pouvoir profiter de sa propre famille. Le bébé "Peuple Juif" est exclusif. Il ne permet pas de s'occuper de sa propre vie, de sa propre famille. C'est un sacerdoce. Et c'est finalement cela, le problème de Myriam.

L'ensemble des commentateurs s'accorde pour dire que son Lachon Hara concerne le délaissement par Moïse de sa femme et de sa famille. La phrase de Myriam (et d'Aaron): "Est-ce seulement par Moïse que l'Éternel parle? N'est-ce pas aussi par nous qu'il parle?" n'est pas de la jalousie. C'est plus profond que cela. Un prophète dans le judaisme n'est pas un moine. Il a le droit d'avoir une famille, des enfants et d'en profiter. Et c'est d'ailleurs le cas pour Myriam et Aaron ! Alors pourquoi Moïse ne pourrait-il pas en faire autant ? Pourquoi met-il sa femme de côté ? Voilà la question de Myriam. Et la réponse de D.ieu est complètement adéquate: Moïse est mon serviteur, ce n'est pas un prophète comme les autres. C'est pourquoi sa vie de tous les jours n'est pas comparable à celle des autres prophètes...

Voilà l'histoire de Beaalotekha: un espoir messianique déçu. La marche vers Israël était programmée, mais elle a été complètement inversée par hédonisme, par l'impossibilité de se satisfaire de sa situation. Et c'est cet attitude, infantile, qui provoque un crise de leadership chez Moïse, qui ne se reconnaît plus dans ce peuple qu'il avait tant défendu lors du Veau d'Or. Et malheureusement, cette crise en appelle d'autres dans la suite du Sefer Bamidbar...et même jusqu'à aujourd'hui. Une lueur d'espoir: la création de l'Etat d'Israël serait-elle le signe que la marche vers Israël s'est ré-enclenché ? Que les Noune se sont à nouveau inversés ?

Il faut l'espérer !