lundi 12 février 2007

Michpatim - L'oreille cassée

Pour tous les internautes qui font du droit, pas de doute, leur Paracha favorite c'est Michpatim.

Cette paracha est en effet celle qui édicte les lois les plus concrètes relatives au droit commercial, celles à appliquer en cas de dommage causé à autrui, la fameuse maxime toujours évoquée et jamais comprise "Oeil pour oeil, Dent pour dent", les lois du Lachone Hara, les lois sur le vol, etc, etc...

Bref, toutes les lois qui concernent les relations avec autrui.Remarquez bien que la Paracha commence par "Veele Hamichpatim" (ET voici les lois).
Ce ET crée un lien évident avec la paracha précédente contenant les 10 commandements.C'est très important car cela confirme ce que l'on disait la semaine dernière: les lois très terre à terre régissant des choses de tous les jours sont complètement liées aux 10 commandements et procèdent d'une même démarche: le service de D-ieu.

Moi je veux bien que la Thora devienne soudain humaniste: enfin, on s'occupe des opprimés, des pauvres et des relations interpersonnelles ! Mais enfin, on se serait donc attendu à ce que la première phrase de la Paracha soit: "Tu n'affligeras aucune veuve ni aucun orphelin" (qui arrive beaucoup plus loin, chapitre 22, verset 21). Ca tape: la Thora défenseur de la veuve et de l'orphelin !

Et pourtant, cette Paracha commence avec une loi bizarroïde.
Un "esclave" (je mets entre guillemets parce qu'un esclave dans la Thora, il a presque inventé le Club Med avant l'heure...) doit être libéré de son maître au bout de la 6ème année. Mais s'il ne veut pas être libéré, alors son maître lui perce l'oreille près de la porte et hop ! il devient esclave à jamais.De là à dire que les adeptes du piercing sont esclaves de la mode pour toujours, il n'y a qu'un pas que je ne franchirai pas (aujourd'hui).

Toujours est-il que ce rite de l'oreille est étrange. Le Talmud (Kidouchin 22b) nous donne une première explication: "L'oreille qui a entendu de D-ieu "vous serez mes esclaves" et qui choisit finalement d'être l'esclave de quelqu'un d'autre alors qu'il pourrait être libéré, mérite une punition".
On comprend le Talmud: être libre, c'est prendre ses responsabilités. C'est ce que D-ieu veut. Etre esclave c'est s'en remettre à une volonté extérieure et ne pas assumer complètement ses actes. Il y a un manquement qui mérite sanction. OK.

Mais le Sefat Emet (le Rabbi de Gour, dont Catherine Chalier a traduit et commenté des passages extrêmement riches dans un ouvrage appelé La langue de la vérité) s'étonne: pourquoi l'oreille ?!
C'est pas l'oreille qui est en cause, c'est le cerveau ! Il a très bien entendu ce qu'on lui a dit :"Ne sois pas esclave". Mais son problème, c'est que son cerveau lui dit: "reste tranquille, t'es logé, nourri, pas de soucis, tu reçois les alloc, bouge pas !".
La pauvre oreille...elle a rien fait la pauvre...C'est justement ce que le Sefat Emet répond: l'oreille n'a rien fait, l'injonction est restée au bord de l'oreille. Elle (l'injonction) n'a pas réussi à être intériorisée. Elle (l'oreille) n'a pas réussi à transmettre ce qu'elle a écouté au cerveau.

Un rabbin disait une fois que lorsqu'il faisait parfois des sermons un peu moralisateurs et mettant en cause le comportement de la communauté, il avait un peu peur que les fidèles ne se vexent. Et pourtant..., ils étaient toujours très zen, et on en trouvait toujours un pour dire: "Mr le Rabbin, c'est formidable ce que vous avez dit. Il est fort dommage que les personnes concernées n'étaient pas là aujourd'hui pour l'entendre !". Et le pauvre rabbin qui avait envie de lui crier: "Mais ça s'applique aussi à vous !!!"

L'étude de la Thora parle évidemment des relations avec autrui. Mais le grand risque, et un des reproches fait parfois au monde religieux, c'est que ces injonctions ne sont pas intériorisées. Qu'elles ne se traduisent pas réellement en actes. J'ai souvent vu des animateurs de mouvements de jeunesse extraordinaires "sur le papier". C'est à dire qu'ils étaient capables à 100% d'expliquer en stage de formation dans des salles de classe ce qu'est un animateur idéal. En bref, de vrais fayots à qui on donnerait un camp de vacances sans concessions. Et pourtant sur le terrain, c'est la cata. Pourquoi ? Parce qu'ils n'ont pas réussi à intérioriser le discours pour le transformer en actes concrets.

C'est ça que veut nous rappeler Michpatim: les 10 commandements c'est beau, mais il faut réussir à se les approprier pour en tirer des conclusions pratiques au niveau de notre relation avec autrui. Ce n'est pas pour rien que le Yarzheit (l'anniversaire de la mort), on dirait aujourd'hui la Hiloula ;-)), de Rav Israël Salanter a toujours lieu Parachat Michpatim.

Rav Israël Salanter est le créateur du mouvement du Moussar, de l'Ethique. Il mettait justement l'accent sur le comportement irréprochable que la Thora nous demande lors de notre rapport à l'autre. Juste avant Kippour, tous ses élèves vinrent le voir:

- "Maître, maître: comment devons nous préparer pour ce jour redoutable ? Doit-on prier avec plus d'intensité ? A quoi doit-on penser durant la prière ? Comment atteindre les niveaux supérieurs ?"

Il commença à répondre:
- "Quand vous mettrez votre Talit le soir de Kol Nidrei..."

Et là tous les élèves étaient suspendus aux lèvres du Grand de la Génération..

- "Faites attention en enroulant le Talit de ne pas faire valser vos tsisits sur le visage des personnes autour de vous..."

C'est d'abord ça qui est important: comment voulez-vous obtenir le pardon de D-ieu en ce jour si vous n'arrivez toujours pas à faire attention aux autres malgré vos longues heures d'étude ?

Telle est la leçon de Rav Israël Salanter, qui doit retentir plus fort encore pour nous, qui n'avons pas la chance d'avoir derrière nous de longues heures d'études....

1 commentaire:

Anonyme a dit…
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