"Lorsque vous entendez quelqu'un dire: "le judaïsme pense que...", alors attendez vous, dans 95% des cas à entendre une grosse bêtise !"
Cette affirmation pleine de bon sens trouve une superbe illustration dans la Paracha Hayé Sarah.
On y parle de plusieurs choses, notamment :
- de l'achat par Avraham d'un caveau à Hébron pour y enterrer sa femme, puis sa famille;
- de la recherche d'une femme pour Isaac par Eliezer, le serviteur d'Avraham;
- du mariage de Isaac et de Rébecca,
- et enfin, de la fin de la vie d'Avraham.
Avraham, nous dit le texte, qui s'est remarié avec Ketoura et qui a été enterré par Isaac ET Ismaël.
Ketoura, nous dit le midrach, c'est en fait Agar, la mère d'Ismaël qui fut en son temps chassée sur ordre de Sarah, la femme d'Avraham.
Jusque là vous suivez ? Sinon, regardez les Feux de l'Amour, c'est un bon entraînement...Toujours est-il qu'à la fin de la vie d'Abraham, Agar et Ismaël sont bien présents à ses côtés, ce qui semble prouver une certaine réconciliation entre les frères ennemis...
Mais les commentaires rabbiniques (le judaïsme, donc !) ne sont pas du tout d'accord sur l'objet de cette réconciliation !!
Avant de se plonger dans ces commentaires, tentons d'expliquer pourquoi c'est important:
Ismaël est assimilé par la tradition juive (et même musulmane) au précurseur, à l'inspirateur du monde arabo-islamique.
Toute l'histoire d'Isaac et d'Ismaël doit être pour nous une indication sur les relations entre le peuple juif et le monde arabe.
Attention, la Thora, ce n'est pas une boule de cristal: c'est l'histoire d'un peuple qui constitue un guide sur la façon de nous comporter envers l'homme et envers Dieu, quelles que soient les époques ou les générations.
Ce principe est résumé dans une formule: "Maassé Avot, Siman la Banim" -
"Les actions des pères sont un "Siman" pour les fils"
"Siman", c'est à la fois une boussole, un destin, un exemple et un signe, que nos ancêtres nous ont laissés. Le but n'est pas de vous dévoiler l'issue du conflit israélo-palestinien, mais de dégager une attitude adéquate vis-à-vis du monde arabe.
Et pour cela, il est impossible de ne pas explorer les textes, et en particulier celui de Hayé Sarah.
Alors que nous disent les commentaires ? Certains pensent qu'Ismaël s'est repenti.
En effet, il a été chassé par Sarah, avec l'agrément de Dieu, contre l'avis d'Avraham. La semaine dernière, Avraham a reçu une petite leçon de vie conjugale de la part de Dieu: alors qu'il hésitait à chasser Agar et Ismaël, Dieu (en personne) est venu lui rappeler un principe fondamental du mariage: "Kol acher Tomar elekha Sarah, Shema Bekola !"
Traduction libre: "Ne discute pas les ordres de ta femme !"
Les commentaires voient dans le retour d'Agar et d'Ismaël, le fait que celui-ci, qui disputait à Isaac la terre d'Israël et la descendance d'Avraham, a enfin compris une chose: celui qui accomplirait la promesse de Dieu, ce sera Isaac et ses descendants.
Rachi, par exemple, y voit une preuve dans le fait que le texte met Isaac AVANT Ismaël dans le verset disant: "Isaac et Ismaël enterrèrent Avraham".
Manitou est tout aussi catégorique: la fin de Hayé Sarah montre qu'un jour, après maintes disputes, Ismaël (donc le monde arabe) reconnaîtra enfin à Isaac (le peuple juif), le droit de s'installer sur la terre d'Avraham.
Mais nous avons d'autres commentateurs, qui sont d'un avis diamétralement opposé !
Parce que finalement, Agar et Ismaël, les pauvres, on les a carrément chassés dans le désert ! Alors qu'Avraham était pas super chaud !
Et on voit bien, dans le midrach, qu'Avraham est allé plusieurs fois leur rendre visite comme s'il avait quelques regrets !
Peut-être qu'Israël a une part dans cette dispute et qu'il doit assumer sa part de responsabilité en essayant de réparer l'injustice commise !
Les commentateurs y voient une indication lorsqu'ils constatent dans le texte qu'Isaac s'est marié avec Rébecca au même endroit où se trouvaient Agar et Ismaël lorsqu'ils ont été chassés de la maison d'Avraham.
Le midrach nous apprend qu'avant de se marier, Isaac est parti chercher Agar et Ismaël pour les ramener auprès d'Avraham et revenir sur l'expulsion dont ils ont été victimes.
De nombreux commentateurs se penchent sur cette expulsion et, sans tabou, remettent en cause certaines actions de nos patriarches: ceux-ci ne sont pas des Saints, ils ont leurs échecs comme tout le monde, mais leur attitude doit tout de même nous faire réfléchir.
Alors une fois qu'on a dit ça, il faut bien s'en sortir ! Qui a raison ? Faut-il lutter jusqu'à ce qu'Israël triomphe ? Ou bien, faut-il réparer les injustices commises envers Ismaël ? Si on se penche vers le Talmud, celui-ci semble se transformer en Jacques Martin (paix à son âme) : "Elou veElou divrei Elohim Haïm"
"Ces paroles-ci et ces paroles-là sont les paroles du Dieu vivant".
Tout le monde a gagné, tout le monde a raison !
C'est quand même trop facile, la Thora ce n'est pas l'Ecole des Fans: cette phrase du Talmud est plus subtile, elle vient nous dire que dans chaque interprétation de la Thora, il y a une vérité qui doit nous interpeller et que nous ne devons pas éluder.
Oserais-je faire un parallèle avec la situation actuelle ? La Thora et les commentateurs voudraient-ils nous dire qu'il ne faut sous aucun prétexte renoncer au droit existentiel du peuple juif à résider sur la terre d'Israël, tout en essayant de réparer les injustices qui ont pu être commises ?
Ou bien sous une autre forme: ce n'est pas parce que des injustices ont été commises, que le droit inaliénable d'Israël à posséder sa terre est remis en cause, comme semblent le dire certains ?
Toute la force de la Thora est là: c'est la dialectique et l'incessant dialogue sur l'interprétation qui donne à penser et qui éclaire la voie pour le juif d'aujourd'hui.
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