mardi 6 février 2007

Yitro - La spécificité du judaïsme

Yitro, c'est l'histoire d'un mec qui aurait du demander des droits d'auteur.


C'est dans la paracha portant son nom que se trouve un bijou de l'humanité, ayant donné lieu à de nombreux commentaires, discussions, bouquins, films, comédies musicales, etc...et à ma connaissance, il a pas touché un rond.


Vous l'avez compris, Yitro, c'est le nom de la paracha dans laquelle se trouve consignée pour la 1ère fois (sur 2), ce que l'on a coutume d'appeler "Les 10 commandements".


Remarquez que (ça devient une habitude), l'hébreu ne dit absolument pas ça: "Asseret Hadiberot" veut dire "les 10 paroles". Pourquoi le terme a été transformé en français, c'est une autre histoire, mais toujours est-il que ces "10 commandements" semblent tenir une place à part dans la vie de l'humanité.


Ca y est, enfin ! L'homme se structure et pose les conditions de la vie en société: Ne tue pas, ne vole pas, ne convoite pas les biens de ton prochain, honore ton père et ta mère, etc...Les 10 commandements, c'est le début de l'homme civilisé: avant il n'était qu'un barbare sans foi ni loi.


Et c'est grâce aux juifs que s'est transmis cette sagesse millénaire, ancêtre de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ! Les 10 commandements, le début de la morale !



C'est beau non ?


C'est tellement beau que beaucoup de juifs (et même parfois des intellectuels) reprennent ces 10 commandements pour démontrer comment le judaisme a introduit l'idée de justice et de respect de l'homme dans l'histoire de l'humanité.


Sauf que...c'est complètement faux !!


Croyez-vous vraiment que le monde a attendu les juifs avant de savoir qu'il ne fallait pas tuer ? qu'il fallait respecter ses parents ? qu'il ne fallait pas commettre de rapt (puisque telle est la véritable signification du "Tu ne voleras pas") ?


Les archéologues et les juristes vous parleront avec passion du code d'Hammourabi, code impressionnant de lois ayant trait au vol, aux peines, à la femme, à la famille, aux domaines royaux, etc... paru environ 150 ans avant nos fameux 10 commandements...

Preuve en est que l'équité et la justice n'ont pas attendu les juifs pour exister (contrairement à la Physique Quantique et à la Relativité par exemple...;-))


Alors quoi, cet évènement serait-il si insignifiant ? Evidemment non.


Nous allons essayer de comprendre pourquoi grâce à une explication du Rav J.D Soloveitchik.



Celui-ci était le leader du courant néo-orthodoxe aux Etats-Unis, prônant une orthodoxie sans faille associée à une ouverture et une intégration active à la modernité. Ce courant est notamment représenté par la Yeshiva University, structure universitaire intégrant à la fois des études de haut niveau talmudiques et des études supérieures "profanes" (finance, gestion, médecine,...).


Le Rav Soloveitchik ramène le commentaire du midrach disant que les 10 paroles ont été dites par D-ieu en 1 seule fois. D'un coup. Et du même coup, de manière incompréhensible.



Les paroles ont donc ensuite été découpées et dites 1 par 1 par Moïse (puisque lui, on l'a déjà dit, savait se faire comprendre...)



Question du Rav Y.D Soloveitchik: Pourquoi avoir tout dit en 1 seule fois si c'était complètement incompréhensible pour l'ensemble du peuple ? La réponse est extraordinaire et a de nombreux impacts sur la façon de voir le judaisme et la foi qu'elle implique: Les paroles ont été dites en une seule fois pour bien montrer qu'elles relevaient d'une même logique: Les 10 commandements font partie d'une loi ordonnée par D-ieu.


On aurait pu croire, et certains font cette distinction, qu'on ne doit pas tuer parce qu'"on doit respect à l'autre" ou parce que "c'est nécessaire pour la vie en société" ou encore "parce que ce n'est pas moral".


La Thora ne dit pas ça ! Elle dit: "tu ne tueras pas parce que D-ieu te l'a ordonné !".

Si tu ne fais pas de faux témoignage, ce n'est pas pour faire plaisir au juge ou à la justice, c'est pour obéir à D-ieu, de la même manière que tu lui obéis lorsque tu ne fais pas d'idoles.Les 10 paroles font partie d'un même système.


C'est ça qui est tout nouveau dans l'histoire de l'humanité ! On ne fait plus les choses parce qu'elles nous paraissent morales ou bonnes, mais parce que se sont des commandements de D-ieu.


On comprend mieux désormais la phrase du Talmud (Kidoushin 31a) : "Plus grand est celui qui fait les choses parce qu'on le lui a ordonné que celui qui fait les choses sans qu'on lui ait ordonné".


A priori c'est bizarre: celui qui donne 1000 euros pour le Tsunami est plus méritant que celui qui rechigne à payer ses impôts. Mais la Thora renverse ce système de valeurs: D-ieu ne nous demande pas de nous conformer à notre instinct personnel, à nos envies ou nos intérêts ou même à ce qui nous paraît moral. Il nous demande de faire abstraction de ça et d'exécuter ses commandements pour l'UNIQUE raison qu'il nous l'a ordonné. En d'autres termes, "Plus grand est celui qui fait les choses parce qu'il doit le faire, que celui qui fait les choses parce qu'il veut le faire".


Un livre magnifique a été traduit en anglais et s'appelle "Responsa from the Holocaust".



Ce livre recense un nombre incroyables de questions posées par des déportés ou des gens enfermés dans des ghettos sur des points de Halacha: comment puis-je mettre les tefilines après avoir été amputé d'un bras, puis-je transgresser l'interdiction de voler pour pouvoir fêter Hanouka, etc...


On connaît par ailleurs cette histoire racontée par Elie Wiesel: des Hassidim dans les camps de concentration, allant à la mort, mais fêtant Simhat Thora en chantant et en dansant.


Ils n'avaient aucun intérêt à respecter cette fête.


Ils n'allaient pas être sauvés pour autant.


Ils savaient juste que leur vie sur terre était de servir D-ieu. Jusqu'à leur dernière seconde de vie.


Les 10 commandements, c'est ça: toute ma vie, y compris les éléments les plus basiques et évidents (comme de ne pas tuer ou de ne pas commettre d'adultère) doivent être faits parce que D-ieu nous l'a ordonné. En premier lieu.Le judaisme n'est pas le précurseur de la morale. Il est le précurseur de la Loi divine qui s'impose à l'homme dans toutes les composantes de la vie.



PS: pour ceux que la philosophie intéresse, il est très frappant de constater à quel point la révolution opérée par les 10 commandements (je fais les choses car je suis soumis à une loi et non parce que je trouve ça bien) est proche de la révolution "copernicienne" operée par Kant plus de 3000 ans plus tard...

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ceci me fait penser à l'expérience sur l'obeissance de Milgram. J'aimerai tellement être sûre de ne jamais obeir à une loi contraire à mes convictions profondes!!
Anne

Anonyme a dit…

Cette brillante explication contredit toutefois, au moins en apparence, le commentaire suivant sur la paracha de Michpatim.
"les 10 commandements c'est beau, mais il faut réussir à se les approprier pour en tirer des conclusions pratiques au niveau de notre relation avec autrui"
ou encore:
"C'est toute la différence entre une Mitzva "nue" et une Mitzva "embellie"."
Ces commentaires tendent à prouver que nous devons aussi saisir l'esprit derrière la loi et y adhérer.
Or si j'y adhère, je ne fais plus le commandement car il est d'essence divine, mais plutôt car je m'identifie à l'esprit.
De plus, exclure l'esprit critique de l'execution des commandements me semble plus que risqué. C'est la porte ouverte aux fondamentalismes et à leur cortège d'infamie.
"Nous ferons ET nous comprendrons".
De grâce, n'oublions pas de comprendre.
Je pense qu'il faut faire car Dieu dit mais qu'on a également l'obligation de tenter de comprendre. Ce n'est qu'à ce prix qu'on se qualifie en tant que partenaire et non en tant qu'esclave.
Dan