lundi 5 février 2007

Histoire subjective de la restauration Casher à Paris

La restauration Casher en France a une histoire qui mérite d'être contée.

Elle a connu un développement tellement extraordinaire que la dernière fois que je me suis retrouvé à Chicago dans une synagogue, la première chose que les gens m'ont demandé lorsqu'ils ont su que j'étais parisien c'était:
"C'est vrai qu'il y a plus de 150 restaurants casher à Paris ?"

La France, haut-lieu de la gastronomie Casher, c'est désormais une réputation qui a donc fait le tour du monde. Comment en est-on arrivé là ?

Au début, disons après-guerre, les seuls endroits où on pouvait trouver quelque chose qui ressemblait à du Casher, ou du moins à de la restauration juive, c'était dans les quartiers avec une forte concentration juive. Et en premier lieu, le Marais, le Plezl (la place en Yiddish) où l'on trouvait principalement de la nourriture ashkénaze, de la bonne charcuterie (Pickel, Toftam, Cracovie, Pastrami, etc...) et de la carpe les jours de fête.
Puis, avec l'arrivée des Juifs d'Afrique du Nord, Belleville puis Montmartre ont pris la relève, avec des institutions nommés René et Gabin, le Relais ou chez François à Belleville et Les Ailes, chez Adolphe, Zazou à Montmartre. Mais on est encore dans le communautaire: l'idée est de retrouver la "bouffe de chez sa mère" dans un restaurant "de chez nous", avec Couscous, Pkaïla et autres Complets poissons.

Et puis, la communauté juive opère un retour discret mais sérieux vers plus de pratique religieuse, vers plus d'attaches à la communauté qui pousse quelques pionniers à essayer de sortir de ce cadre un peu restreint. On commence alors à voir apparaître dans les années 80 les premiers restaurants Casher chinois (Le Lotus de Nissane, qui existe encore, ou le Bambou d'Eilat qui n'existe plus), libanais (La libanaise) ou de haute gastronomie française (Chez Juliette rue Duphot qui a été longtemps le meilleur restaurant casher français). Le succès de certains de ses restaurants associés à une augmentation vertigineuse du marché potentiel accélère la création de nouveaux restaurants durant ces 15 dernières années.

Et là, c'est l'explosion ! De nouveaux quartiers juifs font leur apparition, comme le 19ème arrondissement de Paris où l'on peut voir Rue Manin des dizaines de commerces casher à la chaîne: Gin Fizz (Italien), Tib's (Italo-Japonais), La Marina (Italien) Papy Youda (Hamburgers), etc, etc... Plus récemment, la rue Jouffroy d'Abbans a connu le même sort: autour de l'historique boucher Berbèche, se sont agglomérés des traiteurs (Dado's Café, Charles Traiteur), des restaurants (Sushi West, Naty's Bagel, Deli's Café,...) ou même des librairies (Beth Hassofer). Le Casher a aussi traversé le périphérique: Sarcelles, Créteil, mais aussi Vincennes, Boulogne ou Neuilly ont leur lot de restaurants casher.

Et puis certains ont trouvé l'arme fatale. Car un des points faibles de la restauration casher c'était le marché visé: ceux des Juifs pratiquants qui font attention au lieu dans lequel ils mangent. Comment élargir ce marché ? Réponse: arriver à attirer un public plus nombreux. Pour cela, trois principes:
- Fidéliser le noyau dur des Juifs pratiquants
- Attirer les Juifs non pratiquants par une ambiance "communautaire"
- Trouver le moyen d'être un restaurant attractif également pour les non-juifs

C'est ce qu'a réussi à faire notamment le Cinecitta. Installé dans un quartier d'affaires dans le 8ème arrondissement, proche de l'Elysée, le Cinecitta attire toute une clientèle professionnelle (et non-juive) le midi, ainsi que des clients juifs et plutôt jeunes le soir. D'une pierre deux coups: contourner le problème de la désertion des quartiers d'affaire en soirée, ainsi que la limitation du marché cacher. C'est la martingale !
Alors bien sûr, tout n'est pas si simple. Il faut aussi que la qualité des plats et du service soient au rendez-vous, ainsi qu'une juste évaluation des prix à pratiquer. Le Melrose, qui a ouvert de façon éphémère avenue de Friedland s'y est cassé les dents en voulant voir trop grand. Le Télégraphe, en revanche, sans contexte le restaurant Cacher le plus prestigieux de France, voire du monde tient aujourd'hui plutôt bien son rang. Parfois aussi, le cacher concurrence le non-cacher sur son propre terrain: un des grands concurrents de Planet Sushi (non-cacher) n'est autre que Suhi West qui en est aujourd'hui à 8 magasins dans Paris ! Avec des vaisseaux-amirals à Villiers ou à St-Germain, des Sushi bars rue Lamartine ou encore des "points de livraison", rue de la Croix-Nivert ou rue Jouffroy d'Abbans. Qu'un concept de restauration cacher essaime en autant de boutiques différentes est aujourd'hui la grande innovation de la restauration cacher et surtout la preuve que le marché est encore très dynamique. Bref, en une vingtaine d'années, on est passé du boui-boui à un marché structuré et très varié, que ce soit au niveau de la qualité des plats, de l'emplacement géographique, des styles de cuisine ou même encore (mais ce n'est pas forcément un bien) des surveillances rabbiniques.

Mais ce qui a évolué, c'est aussi la clientèle. Les premiers clients des restaurants cacher étaient en priorité les Juifs pratiquants qui ne pouvaient pas manger dans des restaurants classiques. Les restaurants ont évolué. La communauté aussi. Sa jeunesse surtout. Il n'est pas rare aujourd'hui de voir des bandes de copains aller en groupe dans ces nouveaux restaurants, sans qu'aucun ne porte un intérêt particulier aux lois de la cacherout. La raison ? Certains la nommeront "communautarisation", d'autres "revival" d'une certaine modalité d'être un jeune juif en France, très différente de celle que l'on a pu connaître dans les générations précédentes. En tous cas, des jeunes décomplexés, navigant avec aisance entre leur identité juive et française. Et même si, comme le dirait notre grand Hakham Jean-Jacques Goldman "nos filles sont brunes et l'on parle un peu fort", cette explosion de la nourriture cacher est indéniablement un signe de bonne santé de la communauté juive française.

Et comme le dirait un commentaire rabbinique du Rav Oury Cherki sur Tou Bichvat: dans le judaïsme: "Il faut vivre pour manger et non manger pour vivre". Alors mangeons !

3 commentaires:

Anonyme a dit…

exellent texte, et pourtant j'ai 69 ans et je vie en banlieu.
c'est toulours un plaisir de voire l'evolution de ce "kif" d'etre ensemble autour d'une table.
quand avec mes parents nous sommes arrivés en france et a Paris(1954), il n'y avait que de la charcuterie ""alsacienne"" qui ne nous paraissait franchement pas cacher du tout.
bon tout cela a changé et j'ai vecu cette histoire à table et a la maison.
J.f.

meyer a dit…

quel blog intelligent!!!!
je vais quelquefois à villeurbanne
manger dans un resto judéo arabe avec une trés bonne ambiance.cacher sans surveillance.
josé

Moriniaux a dit…

Bonjour,
Chercheur en géographie de l'alimentation à la Sorbonne et passionné par les questions religieuses dans ce domaine, j'ai été très intéressé par votre "histoire subjective de la restauration casher à Paris". Serait-il possible de discuter avec vous pour aller plus loin et développer mes recherches dans cette direction ? Vous pouvez m'écrire à cette adresse :
Vincent.Moriniaux@paris-sorbonne.fr
Merci
V.M.