Une des règles d'or d'un blog, c'est de soigner la fréquence de publication de ses billets. Autant dire que je suis donc un bien piètre blogger. Devrais-je dire que dès la rentrée, de bonnes résolutions m’assailliront, qui feront que plusieurs billets par jour seront mis en ligne ? Non, ça je dois à l'honnêteté de reconnaître que tant que je ne serai pas au chômage ou la retraite, ça ne risque pas de produire. En revanche, on pourra certainement faire un effort pour que plusieurs mois ne ne passent pas entre deux posts consécutifs. J'ai d'ailleurs pas mal d'articles en préparation...(oui, oui je sais, il faut le voir pour le croire).
En attendant, voici de la pub pour deux excellents blogs pour tous ceux qui s'intéressent au monde juif:
- Le blog Modern-Orthodox
C'est un blog, comme son nom l'indique, qui vise à populariser ce courant du judaïsme dont on pourrait dater l'origine à Rav Shimshon Rephael Hirsch (1808-1888) et qui s'est poursuivi aux Etats-Unis avec notamment les actions du Rav J.D Soloveïtchik et toute la structure associée (Yeshiva University notamment). On pourrait aussi raisonnablement catégoriser de modern-orthodox la position d'une grande partie du monde sioniste religieux actuel. Ce qui les rassemble ? Un attachement inconditionnel à la tradition juive, notamment dans le cadre de la Halakha la plus authentique, mais également un vraie volonté de s'ouvrir à la pensée produite par le monde profane, que ce soit au niveau des sciences humaines (histoire, sociologie, psyvhologien antrophologie,...), des structures sociales (éducation innovante, engagement politique,...) ou des modes de vie (valorisation de la mixité travail/étude de la Thora). D'une certaine façon, même si les différents courants du judaïsme (orthodoxes, libéraux, conservative, modern-orthodox,...) sont des catégories nées et faisant sens dans le monde ashkénaze, on pourrait trouver également de nombreuses similitudes entre l'approche halakhique traditionnelle du monde séfarade avec certaines positions des modern-orthodox. En témoigne par exemple ce post visant à faire mieux connaître une personnalité très significative du point de vue de l'approche halakhique des Juifs d'Afrique du Nord: le Rav Yossef Messas.
Vous y trouverez de façon générale d'excellents articles, souvent engagés, en provenance d'un jeune auteur qui vit le monde juif depuis Israël et notamment depuis Tsahal.
- The Seforim Blog
Bon, alors là c'est pour les plus motivés: le blog est en anglais et il est parfois très pointu. A l'origine, le blog se préoccupe de livres juifs (Livres = Sefarim en hébreu et avec l'accent vouzvouz ça fait Seforim), anciens ou nouveaux avec des analyses plus que fouillées.
Mais au détour d'un chemin, vous y trouverez des posts plus "généralistes" qui recèlent d'excellentes surprises, d'autant que les auteurs sont justement des pointures dans leur domaine.
Le dernier post publié est le 5ème post d'une série publié par le Pr. Marc Shapiro, dont j'ai déjà parlé sur ce blog et sur lequel vous devez vous attendre ici à un prochain post sur son ouvrage "The limits of orthodox theology" qui est un livre absolument extraordinaire.
Shapiro part de l'analyse de la publication de nouveaux écrits du Rav Avraham Itzhak Hakohen Kook, connu pour être, entre autres, le premier rabbin Ashkénaze d'Israël mais aussi le théoricien du mouvement sioniste religieux. Il est surtout, et c'est ce sur quoi Shapiro insiste, un parfait connaisseur de l'ensemble des aspects de la tradition juive (Talmud, Halakha, Kabbale, Théologie,...) tout en ayant une approche tout à fait nouvelle et innovante. Shapiro le compare d'ailleurs d'une certaine façon au Maharal de Prague (dont le Rav Kook était un fin connaisseur), voire à Nahmanide, ce qui est d'une audace assez extraordinaire, mais quand on y réfléchit, c'est assez juste.
En revanche, comme il s'agit d'un blog, Shapiro s'autorise à se laisser porter par des digressions assez loin du Rav Kook, mais qui sont toujours absolument passionnantes.
Je vous encourage bien sûr à aller voir ce blog et cette série de billets mais juste pour vous donner un peu plus envie d'aller voir, voici quelques perles glanées dans le 5ème billet publié il y a quelques jours:
- Le Rav Kook tient qu'un des dangers qui guette l'état spirituel de grands sages de la Thora est de se perdre dans les détails très terre à terre des problématiques halakhiques. On peut comprendre le propos, mais n'est-il pas dangereusement proche de certains princeps chrétiens ?
- Il tient également que parfois, le peuple (ou les masses) ont une sorte d'intuition naturelle plus proche de la vérité que les approches parfois tarabiscotées de certains grands sages, dont la profondeur analytiques risque d'arriver à justifier certains comportements inacceptables. Marc Shapiro, pour illustrer cette thèse, parle de certaines affaires sexuelles dans lesquelles des chefs religieux étaient impliqués et dans lesquelles les masses ont été beaucoup plus promptes à condamner ces personnes alors qu'ils étaient par ailleurs plutôt protégés par leurs pairs. J'avoue ne pas avoir été convaincu par cet exemple, beaucoup plus lié à des considérations politiques et de "castes" que d'une analyse intellectuelle poussée. En revanche, même si Marc Shapiro n'en parle pas, on pourrait appliquer ce raisonnement plus sûrement au sionisme: les masses juives n'ont-elles pas compris plus vite l'intérêt de l'existence de l'Etat d'Israël que les grands chefs spirituels d'avant-guerre ?
- Ce point mène Marc Shapiro à aborder la contradiction possible (et très tangible aujourd'hui) entre la Halakha telle qu'elle est définie dans les livres et études halakhiques et le comportement naturel des Juifs respectueux de la Halakha. C'est un sujet majeur aujourd'hui qui est peut-être une des lignes de partage les plus sensibles entre le monde Haredi et le monde modern-orthodox et en particulier Séfarade. Franchement, avez-vous déjà vu des Séfarades pieux peser sur une balance le poids de leur Matza Chemoura le soir du 1er seder de Pessah ? Comme le dit le Rav Amital, en Hongrie dans sa jeunesse, il n'entendait pas parler de Halakha par çi, Halakha par là: le mode de vie était complètement intériorisé et seuls ceux qui ont perdu le contact avec la tradition se sentent obligés de se plonger dans des méandres détaillées de chaque halakha pratique. Les Hassidim et le monde séfarade d'Afrique du Nord sont-ils les derniers survivants d'un monde encore connecté à une vraie tradition ? Personnellement, je trouve que c'est une question intéressante.
- Faut-il croire aux Aggadot (les récits historiques ou moraux) du Talmud de façon littérale ? De nombreux sages de la tradition répondent négativement, y compris certains d'entre eux qui traînent une réputation pas très favorable. Un exemple parmi d'autres: le Hatam Sofer, dont on répète souvent son aphorisme "Hadach Assour min Hatora" ("le Nouveau est interdit par la Thora, qui est en fait un jeu de mots sur une règle halakhique agricole transposé au contexte de réforme d'Europe centrale du 19ème siècle). En réalité, Marc Shapiro montre que celui-ci était loin d'être un extrémiste (réputation en fait formée par les mouvements réformés de l'époque), mais qu'il avait en plus un important sens critique. Il admettait par exemple, comme le suggère Ibn Ezra (cf. ce superbe article sur le sujet dans le blog modern-orthodox) qu'une partie du livre du Deutéronome n'avait pas été écrite par Moïse.
- Pour ceux qui suivent les guerres picrocholines (mais en disant ça je suis méchant car il y a je pense un enjeu essentiel pour le mouvement sioniste-religieux) ayant opposé deux figures de la Yéchiva Merkaz Harav, pilier du mouvement suivant les enseignements du Rav Kook, Marc Shapiro revient sur la personnalité du Roch Yéchiva de Merkaz Harav, le Rav Shapira (Shapiro en anglais).
- Un sujet qui m'a beaucoup marqué, eu égard à l'intérêt philosophique croissant que revêtent les récents travaux sur le monde animal. Comment les considérer d'un point de vue philosophique ? Que ce soit les travaux d'Elisabeth de Fontenay (qui a la caractéristique d'avoir deux sujets d'études principaux: les Juifs et les animaux) ou Jonathan Safran Foer dans son dernier livre "Faut-il manger les animaux ?", il semblerait qu'un déplacement conceptuel soit en cours. Eh bien, il est d'autant plus notable que le Rav Kook, il y a maintenant plus de 70 ans, avait déjà indiqué que les sacrifices animaux ne seraient jamais restaurés et que sacrifices végétaux seraient plutôt la norme. Ceci est plutôt connu et a d'ailleurs fait l'objet d'une analyse par Shapiro dans son livre cité plus haut. Ce qui est nouveau, c'est que la publication des textes originaux montrent que le fils du Rav Kook (Rav Tzvi Yehouda, dont Leibowitz disait le plus grand mal malgré l'estime qu'il portait à son père) a clairement censuré une partie des écrits de son père où celui-ci affirmait que non seulement les sacrifices animaux ne seraient plus, mais qu'il serait carrément interdit de les restaurer. Incroyable non ?
PS: allez-voir aussi les notes de bas de page, on y trouve aussi des choses succulentes:
- notamment sur le rav Moshe Feinstein dont un livre récent expose plusieurs psakim suprenants: un masseur homme peut masser une femme s'il s'agit d'une prestation occasionnelle, un homme peut exercer la profession de "Goûteur de vin" même non-casher s'il n'avale pas le vin ou encore le fait qu'il est interdit de renoncer à célébrer un mariage sous prétexte que les invités sont attablés de façon mixte.
11 commentaires:
j'adore ! Et on attends les posts sur Shapiro !
Bonjour,
Pouvez-vous etre plus explicite sur cette phrase :
"Franchement, avez-vous déjà vu des Séfarades pieux peser sur une balance le poids de leur Matza Chemoura le soir du 1er seder de Pessah ?"
Oui pardon, c'est vrai que c'est un peu opaque.
Reprenons: "Franchement, avez-vous déjà vu des Séfarades pieux peser sur une balance le poids de leur Matza Chemoura le soir du 1er seder de Pessah ?"
Il y a une obligation de manger de la Matza (Pain Azyme) pendant Pessah. Je ne rentre pas dans les détails, mais à cet égard, l'obligation du premier soir revêt un caractère plus important le premier soir et de nombreux Juifs font particulièrement attention à la Matza qu'ils mangent pendant le Seder.
Ils font attention à plusieurs critères définies par la Halakha et notamment:
- les modalités de fabrication de la Matza (degré de surveillance, fabrication manuelle ou industrielle, etc...). La Matza Chemoura ("surveillée") est une Matza dont le processus de fabrication peut remonter depuis la récolte. C'est donc le "top du top" de la Matza
- Le volume consommé. En effet, la Halakha indique qu'il faut consommer un poids d'environ 28g en moins de 4mn. Certains prennent cela tellement à coeur qu'ils se munissent d'une balance pour être sûr qu'on atteint les 28g et d'une montre pour être certain qu'on est bien dans les 4mn.
Or il me semble plus s'agir d'une incongruité assez récente (et liée au culte de la performance de nos sociétés ?) qu'on n'a jamais rencontré dans les sociétés traditionnelles.
N'hésitez pas si vous avez d'autres questions !
Bonjour,
donc pour vous les gens avant ne mangeait pas leurs Kazait ?
Bonjour Frison,
Désolé de vous répondre aussi tardivement , j'avais perdu votre url...
Je suis étonné de l'évidence avec laquelle vous soumettez l'idée d'"incongruité".
La notion de "cazait kédé akhilat prass" n'est pas propre à pessah !
On la retrouve pour chabat, soukot...
Et meme pour le Maror on mange kazait et mahloket pour le karpass....
Que vous puissiez dire que les juifs traditionnels faisaient dans l'approximation en coupant un bout de chaque élément pour suivre la coutume je vous rejoins parfaitement, mais de la à dire que c'est incongrue !
je pense que vous vous méprenez !
Pour mieux vous comprendre: vous remettez en cause la halakha sur la quantité/temps à respecter ? ou le fait que celui qui veut mieux faire les mitsvot se retrouve à table avec une balance et un chronomètre ??
Raphael
pas de vos nouvelles ??
J'arrive, j'arrive :-)
Je m'explique: je considère comme incongru que notre époque voie des personnes avec une balance et un chronomètre pour faire les Mitzvot alors que ce n'était absolument pas le cas avant.
Car lorsqu'on prend acte de cet état de fait il y a 2 interprétations:
- Soit on dit que les anciens faisaient n'importe quoi ou étaient dans l'approximation
- Soit on dit que la tendance à la quantification et à la "performance" de la Mitzva est une tendance un peu néfaste
Je suis évidemment clairement en faveur de la deuxième hypothèse. Pour 2 raisons:
- d'abord parce que ce comportement rejoint étrangement l'obligation "profane" qui nous est faite par l'époque d'être "performant" (que ce soit dans le domaine professionnel, familial, social, etc...) et que les critiques ne manquent pas sur cette "mécanisation" de l'humain. Jugé à cette aune, le fait de vouloir mieux faire les Mitzvot en s'équipant d'un chronomètre serait plus une conséquence de l'esprit du temps plutôt que d'une véritable démarche spirituelle existentielle
- ensuite parce que des personnes pieuses mangeaient parfois ce qu'elles pensaient justes pour être Yotsé et que ça ne remettait pas en cause leur accomplissement de la Mitzva. Elles mangeaient moins de 30g ? Impossible, me direz-vous ?!
Bon, j'ai compris, il faut une preuve. Le Hazon Ich, c'est suffisant ? :-)
http://hebrewbooks.org/pdfpager.aspx?req=49102&st=&pgnum=15
Ha...enfin Frisson une réponse ;-)
Une fois de plus, je pense que vous fusionner les 2élements Kazait et le Temps nécessaire à le manger....
Or La Halakha est clair dessus :
Manger= Quantité + Temps determiné = indissociable
Et votre passage du Hazon ich ne répond qu'en partie à la réponse !
Le Hazon ich explique "a quoi" ou "combien" doit correspondre Kazait c'est tout !
Il ne parle aucunement en combien de temps il faut la manger....
http://www.techouvot.com/mesure_du_kazayith_pour_la_mitsva_de_la_matsa_ou_maror-vt166.html
Pour revenir au sujet, l'estimation de la duree exacte du Kdei Achilat Prass varie beaucoup d'un possek a un autre (cf. Igrot Moche, Orakh 'Hayim 4:41, Hatam Sofer vol. 6, no. 16.
et... pour conclure
Au final vous mangez comment votre matsa Frison ?
Bonjour Raphaël,
Désolé, mon rythme de réponse est assez aléatoire et plutôt proche du lent.
Vous me reprochez de fusionner 2 notions, le volume et le temps. Vous avez raison ! Je ne les fusionne pas exactement, mais je pense qu'ils sont dépendants l'un de l'autre dans le problème qui nous occupe.
Si votre volume diminue et n'est plus équivalent à 28g, le temps n'est plus un problème. Il sera bien sûr respecté. En revanche, si on tient les 28g, avec une Matza, ça devient compliqué de respecter les 4mn. Et c'est là qu'intervient la panique de certains dans leur crainte de ne pas respecter strictement ces 2 impératifs que sont le volume et le temps.
Or, il ne me semble pas que cette panique fut l'apanage des populations pieuses d'Afrique du Nord... Or, comme celles-ci étaient sérieuses et que la durée semble incompressible, il ne me reste qu'à conclure qu'ils mangeaient probablement moins que 28g et que leur Kazait était forcément inférieur...
Ou bien entendu, qu'ils respectaient une durée largement supérieure à 4mn, mais je vous avoue ne pas maîtriser les différents avis du Kedei Akhilat Prass
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