vendredi 7 décembre 2007

Mikets - Dieu ou Père Hanouka

"Bon, écoute Dieu, voilà le deal: mise des téfilines pendant au moins 1 mois et tu me mets plus de 15 de moyenne à mes partiels, OK ?"

Outre qu'à mon sens, la personne qui dit ça va se prendre un grosse raclée à ses partiels, cette phrase dénote d'une conception de Dieu qui est exactement celle de Pharaon dans notre Paracha.

En effet, Pharaon rêve au début de la Paracha. La Thora nous raconte ce rêve et encore une fois, il faut faire très attention aux mots, en hébreu.
"Vehinei Omed Al Ayeor".
"Et voici qu'il (Pharaon) se tient SUR le fleuve".

Cette formulation est étonnante d'autant que lorsque Pharaon raconte son rêve par la suite, il dit qu'il se tenait "Al Sefat Ayeor", sur les bords du fleuve.

Quelle est la signification de ce "SUR le fleuve" ?
Appelons à la rescousse, le frère de Nehama Leibowitz avec qui nous avons étudié la semaine dernière: Yeshayaou Leibowitz.
Figure incontournable de la vie de l'Etat d'Israël jusqu'à sa mort en 1994: Professeur de Neurobiologie, de Médecine et de Philosophie à l'Université de Jérusalem, il était appelé "le prophète de la colère". C'est lui qui, le 7ème jour, après la guerre des 6 jours, lança un appel pour qu'Israël rende immédiatement les territoires alors que toute la population était dans un état d'euphorie totale. Il prévoyait que ces terres n'apporteraient que des problèmes...ce en quoi il n'avait pas forcément tort...
C'est aussi lui qui n'hésitait pas à provoquer ses concitoyens, en appelant le Kotel (le mur des Lamentations), le "DisKotel", pour fustiger les comportements indignes qui s'y produisent (vente de fils rouge "magiques", petits papiers à n'en plus finir dans les fentes, etc, etc..)

Mais il était également profondément orthodoxe et attachait une importance capitale à la Halacha pour le peuple juif. Ce qui faisait de lui un personnage très atypique dans le paysage intellectuel et politique Israélien.
Dans ses commentaires sur la Paracha (Brèves Leçons bibliques aux éditions Desclée de Brouwer), il donne une réponse à notre problème: il y a 2 façons de considérer Dieu.
La première est de considérer que celui-ci intervient de manière permanente dans la vie de l'homme et que celui-ci doit s'appuyer sur lui pour obtenir la santé, la richesse, le bien-être, etc...

Dieu "rassure" et aurait des devoirs envers l'homme: le rendre heureux sur cette terre. C'est exactement ce que dit le texte ! Le fleuve en Egypte, c'est le Nil. Le Nil en Egypte, c'est un Dieu: c'est le fleuve grâce auquel l'Egypte n'est pas un pays désertique, c'est le fleuve autour duquel vivaient, et vivent toujours 90% des égyptiens. C'est le Dieu qui donne la fertilité et la richesse. Lorsque le texte dit qu'il était SUR le Nil, cela veut dire qu'il attendait que Dieu lui donne les richesses: il était supporté par le Nil.
Remarquez que c'est la définition classique que donnent d'une religion tous les sociologues et psychanalystes lucides sur la nature humaine: pour supporter la dure condition humaine, il est nécessaire de se créer une illusion conceptuelle appelée Dieu qui va rassurer et réconforter l'homme en lui faisant miroiter un monde meilleur (monde futur, nirvana, paradis, appelez-le comme vous voudrez). C'est l'opium du peuple de Karl Marx, ou l'Illusion de Sigmund Freud.

Or, ce que dit Leibowitz, c'est que pour les juifs, c'est tout le contraire: l'homme a des devoirs envers Dieu, et non l'inverse.
L'homme doit prendre ses responsabilités sur terre, ne pas compter sur Dieu pour réussir ses partiels: Dieu n'est pas le père Hanouka !
Dieu ne rassure pas, il exige, il ordonne les Mitzvots et attend que l'homme respecte sa volonté. Et d'ailleurs, dans l'épisode de l'échelle avec Jacob, on lit bien: Dieu était "Alav", "SUR" Jacob. C'est Dieu qui reposait sur Jacob, pas l'inverse !!

Toute la vie du peuple juif c'est ça: ne pas attendre qu'un miracle vienne de Dieu, ne pas penser que ça ira mieux en priant, mais se dire qu'on est sur terre pour accomplir le service de Dieu et que ce service est impossible à accomplir sans une prise de responsabilité.

Vous connaissez le Choulhan Aroukh, LE recueil de lois par excellence. Savez-vous quelle est sa première phrase ?
"Dieu est amour, il vous sauvera" ?
Raté

"Dieu est tout-puissant, n'essayez même pas de bouger, de toutes façons tout est écrit" ?
Encore raté

"Priez Dieu tous les jours, il vous fera réussir vos partiels" ?
Toujours raté

La première phrase du Choulhan Aroukh c'est "Itgaber Kaari Laamod Baboker Laavod ete Boreo"
"L'homme doit se surpasser/renforcer comme un Lion lorsqu’il se lève le matin, pour servir son créateur"

Voilà la différence entre deux conceptions de la foi, qui ont d'ailleurs mené Leibowitz à répondre à un ancien président de la cour suprême, rescapé d'Auschwitz:

- Professeur Leibowitz, après la Shoa, je n'ai plus cru en Dieu
- Alors cela veut dire que vous n'avez jamais cru en Dieu: vous avez cru en un Dieu présent pour vous soutenir et vous sauver du malheur. Mais Dieu n'a aucun devoir envers vous. La vraie foi en Dieu c'est de savoir que nous en avons envers lui et que nous devons les respecter.

Ou dit autrement:
"A ceux qui me disent croire en Dieu ou dans le divin, mais ne pas être prêts à assumer le joug des mitzvot, je demande toujours: en quoi croyez-vous ?
En un vénérable vieillard installé dans les cieux et qui, de là-haut tire les ficelles du monde ? Et si même vous étiez sûr qu'il en est bien ainsi - en quoi cela vous regarde-t-il ?"

La première fois que j'ai lu ce passage, j'ai eu beaucoup de mal à dormir...

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ca remet les idées en place.

Mais cette conception d'une relation purement unilatérale entre Dieu et les hommes est elle vraiment aussi radicale ?

Après tout, les prières sont remplies de demandes formulées à Dieu au bénéfice des hommes.

Si l'homme n'est pas un salarié qui attend une récompense de son service (pirké avot je crois), cela n'empêche pas les requêtes.

Anonyme a dit…

Bonjour Jeremie,

Ca fait toujours passer un moment agreable de lire tes posts...

J'ai relu l'histoire tant appreciee de Leibowitz et la shoah...
Et cette fois ci, elle n'est pas passee...
On peut comprendre que l'on soit secoue par la shoah et par "l'attitude de Dieu" pendant celle-ci...
Meme si l'on ne croit pas en un Dieu enfantin et paternaliste nous avons tout de meme foi en une justice certaine...
Or, la shoah peut apparaitre de prime abord comme une forme d'injustice profonde...

Le Grand Maimonide ne nous a-t-il pas enjoint de connaitre Dieu et d'imiter ses attributs... On peut comprendre que si l'on en enjoint de pratiquer la justice on puisse attendre quelque chose de "ressemblant" de la part du ciel...

Maintenant que la justice divine soit moins simpliste que bonbon-panpan, je l'admets, mais j'admets aussi un "questionnement" apres la Shoah TOUT en etant pas dans une vision enfantine de la divinite...

Bref... Ca m'a enerve: C'etait decidement un demago ce Leibowitz ;-)