Depuis quelques années en France, des organismes se sont spécialisés dans le "Kirouv". Cette notion, importée des Etats-Unis et d'Israël consiste à "rapprocher" (sens etymologique du mot hébreu Kirouv) les Juifs non-pratiquants d'un mode de vie plus proche de celui prôné par la tradition juive, c'est à dire guidé par la vie en communauté, la pratique des Mitzvot et l'étude de la Thora.
En France, les principaux acteurs du Kirouv se retrouvent autour d'organismes tels que Oraïta, Arakhim ou encore Lev.
Leur principe est simple: organisation de grands séminaires dans un cadre agréable, principalement ouvert à des Juifs non-pratiquants et souvent très éloignés de toute éducation ou connaissance juive et les sensibiliser à la Thora à travers des conférences mêlant des sujets extrêmement variés, mais s'adressant principalement au coeur, à l'émotion ou même au sensationnel.
La plupart des participants en ressortent enchantés et beaucoup (70 000 en France annonce Oraïta) font Téchouva en choisissant d'adopter le mode de vie ancestral des Juifs guidés par la Halakha.
Organisme de salubrité publique, pourrait-on dire, en ces temps où l'assimilation gronde, et où une grande majorité des Juifs de ce pays n'est pas capable de lire un texte simple en hébreu, de le traduire et de donner simplement la descendance d'Abraham sur 3 générations.
Pourtant, certains "détails" coincent. Et nous obligent à nous interroger sur la validité de cette Téchouva. Un retour à la tradition aussi brusque est-il pérenne ? Ne pas passer par un long travail de maturation personnelle et de recherche introspective permet-il ensuite une transmission fidèle et qui puisse traverser les âges ? N'est-il pas risqué de fonder un changement de vie sur une démonstration de codes de la Thora "prouvant" que la Thora avait prévu le 11 septembre, la Shoa, le meurtre d'Itzhak Rabin ou le règne de Louis XIV ?
Quelques extraits de conférence un peu baroques:
Une conférence sur l'avenir du peuple juif, dépeint à travers des considérations dignes de Nostradamus:
"Souvenez-vous de Pourim, lorsque Aman, le Perse, n°2 du régime à l'époque, avait décidé de détruire le peuple juif. Qui avons-nous en face aujourd'hui ? Un Perse. N°2 du régime. Dont le nom rappelle étrangement celui de son glorieux ancêtre: Amaninejad !"
Rappelons quand même que son vrai nom, c'est Ahmadinejad. C'est déjà moins ressemblant...
Une conférence sur l'importance de la casherout où, pour bien sensibiliser l'auditoire, on rapporte l'histoire d'un déporté à Auschwitz qui aurait refusé pendant les 3 ans de présence dans le camp une tranche de porc proposée par un soldat allemand. Et que la veille de la libération du camp par l'armée américaine (ou soviétique, dit le conférencier qui dit ne pas s'en rappeler), le soldat SS lui aurait intimé l'ordre de manger sous peine d'une balle dans la tête. Le déporté refusa de manger alors que la libération était quasi-assuré le jour d'après. L'Allemand le tue. Un aumônier de l'armée libératrice dit alors aux autres déportés présents que son comportement doit nous rappeler à quel point ce Juif a porté le respect de la casherout et qu'aujourd'hui, aller au Mac Do manger un Fish, parce que je m'en fiche, sourie le conférencier, eh bien c'est insulter la mémoire de ce juif et des 6 millions qui ont donné leur vie pour le respect des commandements divins.
3 ans à Auschwitz avec un allemand sur le dos sans mourir ? Même historiquement, c'est très invraisemblable, les Juifs n'ayant vraiment commencé à arriver que mi-42 et que le camp a été libéré en janvier 45, soit moins de 3 ans.
Alors armée américaine ou soviétique ? Si c'est Auschwitz, c'est bien évidemment l'armée Rouge. Un aumônier dans l'armée de Staline ? C'est un scoop...
Les 6 millions de juifs respectaient donc tous les règles de la casherout ? Autre scoop...
Ou encore les fameux codes dans la Thora, censés montrer la puissance historique et indépassable de la Thora à travers de subtils jeux mathématiques.
Je suis donc allé discuter avec un des responsables d'Oraïta. C'était très instructif. Sur les imprécisions historiques ou les "écarts" par rapport à une position rationaliste, les positions n'évoluent pas. Cela marche, donc on continue comme ça.
Sur le fond de leur démarche en revanche, ils sont extrêmement lucides: ils s'adressent d'abord à l'émotion avant de toucher l'intellect, l'objecif étant avant tout "de créer une fissure dans la Kelipa (l'écorce) afin d'atteindre l'âme de ces gens".
A la question sur la qualité de la Téchouva, la réponse est également pleine de bon sens: "Nous savons bien que ce n'est pas en 3 jours que quelqu'un peut réellement changer. C'est pour cela que nous avons dans nos séminaires des personnes spécialement chargées de suivre les participants après le séminaire. C'est ce que font les sectes. Si elles arrivent à convaincre des gens avec un fond spirituel égal à zéro, imaginez ce qu'il est possible de faire avec la Thora comme proposition ! Maintenant, si les personnes ne veulent pas être rappelées, nous les laissons évidemment tranquilles"
Il y a donc des personnes qui ressortent insensibles ?
"Evidemment. Il y a même des gens qui sont encore plus virulents après un séminaire. Mais que faire ? Comme cela nous posait tout de même un problème de conscience, nous avons posé la question aux plus hautes autorités halakhiques. Celles-ci nous ont encouragé à continuer: la situation est critique, nous ne pouvons malheureusement pas nous permettre de faire du sur-mesure. Le peuple juif est en danger. Il faut savoir également que nous avons évolué sur le public que nous touchons. Auparavant, seuls les non-pratiquants (chabat, casherout,..) étaient admis. Le Rav Ovadia Yossef nous a demandé de prendre également un public religieux: celui-ci aussi a besoin de renforcement. Trop souvent, sa pratique est mécanique et dénuée de contenu spirituel."
Mais quand même les conférences, c'est parfois un peu limite non ?
"Nous avons envoyé un questionnaire à toutes les personnes qui sont passées par Oraïta, pour savoir ce qui les avait poussé à revenir vers la Thora. Vous savez ce qu'ils ont répondu ? Environ 10% ont dit que c'était les conférences. Notre égo en a pris un coup, me dit-il en souriant. Ce qui leur a fait tilt, c'est avant tout les moments informels, les repas, l'esprit de groupe, le fait que les rabbanim aient parlé avec eux, leur ait montré que leur existence avait une importance pour nous. Les conférences finalement ne sont qu'un pretexte nous permettant de vivre ces moments là."
Effectivement, cette vitesse, cette impatience, peut avoir quelque chose de gênant en regard de l'injonction talmudique de mettre les mains dans le cambouis, si opposé au "moment de grâce" chrétien.
Mais finalement, puisque les responsables de ces entreprises sont lucides, conscients des limites de leur approche, mais aussi de l'urgence qui les meut, il est peut-être important de ne pas leur jeter la pierre trop vite, mais d'établir en parallèle des structures dans lesquelles l'étude rigoureuse, authentique et toujours renouvelée de la Thora pourra accueillir ces nouveaux venus, "fontaines d'eau fraîche" toujours enrichissants pour les vieux de la vieille...
Et aussi se rappeler qu'en ces temps troublés où l'individualisme triomphe dans nos sociétés occidentales, on peut, avec un peu de chaleur et d'amitié, faire des miracles.
2 commentaires:
Epoustouflant de voir à quel point finalement c'est l'accomplissement concret d'une mitsva qui est le déclencheur de la techouva. Ainsi, s'asseoir ensemble à un repas de shabbat lors d'un séminaire Oraita, prier, avoir un contact direct avec "les religieux, les rabbanim", voici ce qui a plus d'effet que le pseudo-discours rationnel des conférences sur les Codes... Notez que le Rabbi de Loubavitch ne s'y était pas trompé, en envoyant des milliers d'adeptes -non pas convaincre par la parole et la démonstration- mais aller au devant de leurs frères juifs et leurs proposer d'accomplir 1 mitsva, tefilin ou nerot shabbat... Car ainsi, se révèle la nature profonde du juif et son lien (enfoui jusque là) avec le Créateur...
Effectivement, le meilleur moyen est de suivre les conseils du Tsadik de la generation, car lui seul voit tout jusqu'a l'infini.
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