Nous voici au 4ème livre de la Thora: Bamidbar - "Dans le Désert".
En français, ce livre est appelé "Les nombres", ce qui n'est pas totalement faux puisque ce livre est également appelé par nos sages "Sefer Hapikoudim", le livre des "denombrements", des "recensements".
Le Netziv de Volojhine, dans Haemek Davar, consacre d'ailleurs l'introduction de ce 4ème livre à l'explication du terme "Pikoudim". Mais ça ce sera pour une autre fois, nous allons pour l'instant nous interroger sur ce terme de "Désert".
Endroit vide, creux, silencieux s'il en est, le désert est un lieu pour le moins étrange lorsqu'il s'agit d'accueillir la révélation du Sinaï. Et pourtant, un livre entier porte son nom.
Pour essayer d'y voir un peu plus clair dans cette notion de désert, je vais essayer de vous parler d'une étude que Benjamin REJTSFBM m'avait proposé à Pessah, puisque comme vous le savez, il est une Havrouta (compagnon d'étude) irremplaçable des jours de Yom Tov.
A Pessah, nous avons étudié un passage du Maharal de Prague, dans son ouvrage traitant de la révélation du Sinaï: Tiferet Israël. Quelques mots du Maharal de Prague: déjà, rien que son nom, je le trouve classe. Prague, Kafka, le Château,.... Et le Maharal: qui n'a pas entendu au moins une fois son nom à propos du Golem, cette créature d'argile auquel le Maharal aurait réussi à donner vie, et qui protégea les juifs de Prague des attaques et pérsecutions....
Mais au-delà de cette légende, le Maharal est une véritable révolution dans le monde juif: c'est un authentique penseur, le premier à avoir une approche systématique des haggadot du Talmud, c'est à dire la partie non-halachique. Certains diront même qu'il est le premier penseur "moderne" du judaïsme. Il était également très attaché aux sciences et à leur importance: un de ses élèves, David Ganz, alla étudier chez Tycho Brahé et Kepler (évidemment l'auteur des lois de Kepler étudiés en 1ère S), deux des plus grands astronomes de leur temps. (André Neher a d'ailleurs consacré un ouvrage à David Ganz: passionnant !)
Le Rav Kook disait du Maharal qu'il était "d'un côté le père de l'approche du Gaon de Vilna, et de l'autre le père de la Hassidout". Lorsqu'on sait que ces 2 approches se sont combattues férocement au point de s'excommunier mutuellement, on ne peut qu'apprécier l'esprit de synthèse du Maharal...Bref, un très grand. Sans rentrer dans le détail du texte qui mériterait un écrit plus rigoureux (ce que ne manquera pas de faire Benjamin, j'en suis sûr), voici quelques pistes données par le Maharal sur cette révélation du Sinaï.
1) Pourquoi la révélation eut lieu au mois de Sivan ?
En effet, Chavouot que nous fêterons la semaine prochaine se passe le 6 Sivan. Le mois de Sivan est le 3ème de l'année. Et pour le Maharal, ce chiffre 3 est fondamental.
- Le 3 vient en effet après 2. Jusque là, ca devrait aller.
- Le 2 est le chiffre symoblisant la dualité: la thèse et l'anti-thèse. Si vous avez fait de la dissert' dans votre vie, vous devriez pouvoir suivre.
- Le 3 est donc le chiffre qui vient créer une synthèse dans une dualité (le 2). C'est le chiffre qui vient dépasser une opposition entre 2 termes. Hegel (qui sachez-le est à l'origine de l'exercice de la dissertation dans notre beau pays) aurait parlé d'Aufhebung.
Mais revenons au Maharal. L'opposition est fondamentale lors de la sortie d'Egypte: le peuple juif sort de centaines d'années d'esclavage et doit se tranformer en peuple libre et autonome. Cette transformation n'est pas du tout évidente: devenir libre n'est pas simple, surtout quand on a experimenté la vie d'esclave et d'assisté pendant tant d'années. C'est donc le don de la loi qui vient opérer cette transformation. C'est la loi, le 3ème terme, qui rendra possible le lien entre l'Egypte et Israël.
Remarque forte intéressante du Maharal: "c'est pour cette raison que la fête de Chavouot a pour signe zodiacal....les Gémeaux. "
Le don de la Thora vient bien opérer un lien entre 2 états. Voilà pourquoi la révélation devait se tenir le 3ème mois.
2) Pourquoi dans le désert ?
Le Maharal propose plusieurs réponses qui montrent que le désert est indispensable à la révélation.
a) Le désert est stérile.
La révélation du Sinaï est l'occasion unique d'un lien entre D.ieu et son peuple. Cette révélation ne peut se faire dans un lieu agité et parasité par la vie humaine. La loi divine, destinée à faire prendre un nouveau départ au peuple d'Israël, ne doit apparaître que dans un contexte totalement détaché de toute problématique humaine.
Ceci nous a rendu perplexe: la Thora n'est elle pas une thora de vie ? N'est-elle pas destinée en priorité à l'homme ? A sa vie de tous les jours ? Pourquoi alors choisir un lieu vide ?
Lors de notre étude, nous avions tenté une réponse en faisant une analogie avec le chirurgien: celui-ci utilise un bistouri. L'objectif premier du bistouri est d'opérer le patient, de rentrer dans son corps et d'être en contact avec la peau et le sang. Mais avant l'opération, un pré-requis est indispensable: le bistouri doit être stérile. La Thora est destinée à l'humanité. Mais pour qu'elle fonctionne, son initialisation ne peut se faire que dans un lieu denué d'humanité...
b) Le désert est constitutif de la spécificité d'Israël.
Pour tous les peuples de la terre, la Loi est le résultat d'un processus qui vise à gérer le mieux possible un comportement déjà existant:
- Les hommes s'entretuent ? hop, une loi: "Ne pas tuer" - Y a trop de chômage ? hop, une loi: "Emploi-jeunes"
- Il faut de l'argent pour payer les autoroutes ? hop, une loi: "plus d'impôts".
Ces lois sont comparables aux lois du code de la route: il existe des voitures circulant n'importe comment: pour limiter les accidents, on va instaurer des règles, régissant la circulation. La Loi donnée aux hébreux est complètement différente: le peuple n'a jamais vécu libre. Il n'ont jamais eu l'occasion de "vivre ensemble" et de décider de leurs lois.
Le peuple juif est le seul peuple à avoir eu une loi avant même d'être un peuple vivant libre sur une terre.
La loi divine ne vient pas a posteriori:
- les règles de cacherout ne sont pas mentionnées dans la Thora pour tenter de conserver un optimum d'hygiène pour l'époque,
- les règles du Chabbat ne sont pas là pour reposer des gens ayant trop travaillé,
Non, la Thora est préexistante à tout comportement humain. Pour cette raison, elle devait être donnée dans le désert: "Je vous donne cette Thora dans un lieu sans vie humaine pour que vous vous rendiez bien compte que cette Loi n'est pas dépendante d'un quelconque comportement humain"
Ce n'est plus comparable au code de la route, mais aux règles du jeu d'échecs: les règles sont pré-existantes au jeu. Elles existent: soit vous les acceptez et vous jouez, soit vous les refusez et vous sortez du jeu. Ces deux sortes de loi (codes de la route et règles du jeu d'échecs) sont très différentes dans leurs implications et leur philosophie. C'est la même différence existant entre une loi humaine et une loi divine... Seul le désert pouvait nous le rappeler....
Le Maharal donne encore d'autres explications qu'il faudrait approfondir et détailler. Mais ce qui est important, c'est que le désert, le Midbar est constitutif de la parole divine. Et d'ailleurs, en hébreu, c'est finalement très clair: le mot "Midbar" (Désert) a la même racine que le mot "Medaber" (Parler). Comme si la parole divine ne pouvait s'acquérir qu'au prix d'un long silence, semblable à celui qui tonne dans le désert...
1 commentaire:
'Hazak pour ce commentaire !
Il m'a permis de compléter un explication donnée sur un forum scout : "[...] Une piste parmi d'autre : dans un monde de bruits, comment apprendre le silence ? Et si la Parole de D. s'y cachait ?
En hébreu, le mot "Midbar" (Désert) a la même racine que le mot "Médabèr" (Parler). Comme si la Parole divine ne pouvait s'acquérir qu'au prix d'un long silence, semblable à celui qui tonne dans le désert... (fête de Chavouot)"
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