mercredi 10 janvier 2007

Chemot - La richesse de l'exil

Chemot, c'est le passage de l'histoire d'une famille (celle de Jacob) à celle d'un peuple. Et ce peuple se forme en Egypte, en exil.
Quelle valeur accorder à cet exil ? Punition ? Bienfait ? Quoi y faire ?

Pour y répondre, nous nous pencherons sur un commentaire a priori anodin du Baal Hatourim, ouvrage portant sur la Thora écrite (le Pentateuque) et très friand d'explications utilisant la Guematria (l'affectation de combinaisons numériques aux mots de la Thora) ou les Raché-Tevot (les acronymes).

Et sur Chemot, le Baal Hatourim a une explication surprenante: "Le mot Chemot forme les initiales de l'expression Chnaïm Mikra ekhad Targoum".
Traduction: les lettres du mot Chemot (Chine, Mem et Tav) forment les initiales de l'expression Deux lectures et une traduction.

En clair ? Il s'agit d'une Mitzva pas forcément très connue, qui consiste à lire chaque semaine avant Chabbat:
- deux lectures de la Paracha en hébreu,
- plus une lecture du Targoum, c'est-à-dire la traduction du texte en araméen réalisée par Onkelos.

Bon fort bien. Mais quel est le sens de ce commentaire ?

Il est en fait fondamental pour tous les Juifs qui vivent en exil et l'on sait qu'il y en a eu un paquet durant l'histoire. Ce commentaire nous dit 3 choses essentielles:

  1. Chemot représente, on l'a dit, l'entrée du peuple Juif en exil, dans son premier exil, celui qui sera la matrice des suivants. Et pour qu'un Juif survive en exil, il lui faut un secret. Ce secret, nous dit le Baal Hatourim, c'est l'étude. C'est l'action de ne jamais se séparer du texte, de toujours l'entretenir, toutes les semaines, sans exceptions.
  2. Mais cette lecture ne suffit pas. Il existera des périodes en exil, où la lecture de la Thora ne signifiera plus rien pour les Juifs. Où le message apparaîtra comme poussiereux et archaïque. Où des idéologies (christianisme, marxisme, psychanalyse,...) pourront apparaître comme des dépassements du judaïsme. Alors, nous dit le Baal Hatourim, il est essentiel de ne pas oublier le Targoum, c'est à dire de prendre la peine de "traduire" en langage intelligible pour le lieu et l'époque, le message de la Thora.
  3. Mais ça ne suffit toujours pas ! Car comme le dit l'adage bien connu, "Traduttore, tradittore", traduire c'est trahir. Et certaines lectures modernes de la Thora, en voulant rendre de nouveau audible son message, prennent le risque de produire des contre-sens et d'aspirer plutôt à un conformisme d'époque en totale contradiction avec l'identité intemporelle et subversive du judaïsme. Il faut donc une deuxième lecture en hébreu, qui puisse nous assurer de l'authenticité de l'interprétation et de son désinteressement.

Cette démarche dialectique: Etudier/ En renouveler le sens/ Vérifier la validité de l'interprétation, est le secret de la survie en exil, mais aussi et surtout sa richesse. Car c'est bien cette situation qui a permis la production jamais interrompue des trésors de l'herméneutique juive.

Pour finir, un petit mot de halakha sur ce sujet. Car, me direz-vous, l'explication est bien gentille, sauf qu'aujourd'hui les Juifs bilingues hébreu-araméen, ça ne court pas les rues.

Première réponse: eh bien, il n'est jamais trop tard pour bien faire et commencer la méthode Assimil araméen.

Deuxième réponse: le Choulhan Aroukh a un "hidouch", une innovation stupéfiante sur cette halakha. Le Targoum en araméen est évidemment valide pour accomplir la Mitzva pré-citée. Mais une autre lecture est possible qui nous rend quitte de la Mitzva: l'étude du commentaire de Rachi. Lire le texte en hébreu, puis le commentaire de Rachi, puis enfin relire en hébreu la paracha nous rend quitte de cette Mitzva. Un auteur du 11ème siècle fait figure de référent halakhique pour une Mitzva donnée, c'est une magnifique nouvelle pour tous les adorateurs de la belle région champenoise...

Nota: Ce commentaire repose en grande partie sur des éléments apportés par un ami, Benjamin Sznajder

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour cette drasha, claire et tout à fait de circonstance !

Et cette fois-ci je l'aurai lue à temps.

Shmipele a dit…

Au temps du Targoum d'Onkelos, l'araméen était la langue vernaculaire des Juifs de l'époque; il me semble qu'on peut donc se rendre quitte de la mitzva en lisant une traduction française autorisée.

Frison a dit…

En réponse à Jean-Pierre:

Si on se place d'un point de vue halachique, l'acte de lecture d'une traduction est plus restrictif que cela: les seules traductions (=interprétations) valables pour l'accomplissement de cette Mitzva sont soit le Targoum, soit Rachi.
En effet, les traductions en d'autres langues sont toujours susceptibles de contenir certaines erreurs, voire contre-sens en regard du texte telle que la tradition juive l'a compris.
Même la traduction du rabbinat n'est pas exemple d'erreurs de ce type, comme l'ont très bien montré Nehama Leibowitz ou Henri Meschonnic auxquels nous espérons consacrer bientôt un billet...

Anonyme a dit…

Exceptionnel dvar torah.
D'autres sur Chemot : http://www.torah-box.com/chavoua-tov/chemot-5771,53.php